Le char israélien Merkava.







"" Un fabuleux char de guerre ""
                                                                                                                                  Maquette Tamiya au 1/35.    Réf: n°127.





Un historique complet grâce à Connaissance de l'Histoire n°56 de mai 1983.
Aux éditions Hachette


Réalisation de la maquette par mon ami Eric Szmahaj.




Historique : C'est en 1972 qu'ont commencé à circuler des bruits relatifs à réalisation d'un nouveau char de conception israélienne. Selon les informations alors disponibles, ce véhicule devait entrer en service vers la fin de cette année. La presse fit état de divers noms donnés au nouveau char : "Sabra", puis un peu plus tard, "Ben Gourion"; mais aucun d'eux ne reçut de confirmation officielle.
Il était, d'autre part,fort peu plausible que l'état des travaux israéliens ait été aussi avancé pour permettre une entrée en service du char à la fin de 1972. Si toutes ces affirmations s'apparentaient à première vue à une campagne d'intoxication, on pouvait néanmoins penser qu'il n'y avait pas de fumée sans feu et que les Israéliens étaient bien en train de développer un char de conception nationale.

Israël a toujours éprouvé de grandes difficultés à se procurer à l'étranger les chars d'assaut dont son armé avait besoin. Jusqu'en 1955, l'arme blindée israélienne dut se contenter d'une poignée de M4 Sherman achetés à la ferraille dans les surplus de la deuxième guerre mondiale.Lorsque les Français acceptèrent, peu avant l'opération de Suez, de fournir leur tout nouvel AMX 13, cette livraison fut considérée comme un ballon d'oxygène, même si ce char léger ne correspondait pas réellement au désir israélien de se doter de chars lourds.   
Malgré les dimensions de son châssis, le Merkava peut se dissimuler derrière le plus petit repli de terrain, n'offrant à l'adversaire que des surfaces bien profilées.
Source: Connaissance de l'Histoire n°56 de mai 1983.
Deux chars Sherman détruits coup sur coup lors de la bataille de Normandie par des canons de 88 mm.
Source: Connaissance de l'Histoire année 1979 aux éditions Hachette.
AMX 13 bitube de 30 mm antiaérien pendant une école de feu.
Source: Connaissance de l'Histoire n°15 de juillet/août 1979.


La Grande-Bretagne accepta un temps de livrer des Centurion en surplus. La fourniture au début des années soixante de M48 par la R.F.A. déclencha une tempête politique Outre-Rhin quand l'affaire fut révélée.
L'Allemagne fédérale refusa par la suite de vendre des Léopard I à d'autres pays que ceux de l'OTAN.
Tour à tour, les pays auxquels Israël réussit à arracher des livraisons de chars passaient par des périodes de réticences, voire même d'embargo. La guerre des six Jours fut, à ce sujet, décisive. La France décréta un embargo total, préférant reporter son effort commercial vers les pays arabes, nettement plus rentables. La Grande-Bretagne, qui avait accepté de fournir quelques Chieftain pour évaluation, décida brusquement de suspendre ses exportations d'armes offensives lourdes vers l'un quelconque des pays du champ de bataille.
Les Israéliens ne pouvaient donc plus compter que sur les Etats-Unis pour leur approvisionnement en chars. Or l'embargo français les avait persuadés du danger de la dépendance envers un seul et unique fournisseur. Incapable de diversifier ses sources d'approvisionnement étant donné le refus des autres pays occidentaux de vendre leurs armes, Israël s'engagea donc résolument sur la voie du développement d'une puissante industrie national d'armement.
Les ressources limitées du pays ne permettaient pas d'espérer une indépendance totale; il était exclu de fabriquer toutes les armes dont le pays avait besoin. Du moins était-il possible de réaliser un modèle dans chaque catégorie principale.
C'est ainsi qu'Israël lança la fabrication du chasseur Kfir, de la vedette lance-missiles Reshef, de l'obusier de 155 mm Soltam M63 ou du fusil d'assaut Galil. Un armement aussi essentiel que le char d'assaut ne pouvait échapper à cette politique.
Il était donc certain que les Israéliens préparaient un char et ce programme devait sans nul doute être inspiré par la conception israélienne de la guerre blindée.      

Des Centurion israéliens à l'entraînement. Source: Connaissance de l'Histoire n°44 de mars 1982.
Le char de bataille M48 utilisé par l'Otan et les Américains en ont encore quelque quatre mille pour les réservistes de la Garde nationale.
Les armes de la terreur de William J. Koenig aux éditions E.P.A. Paris 1982.
Document à archiver, le formidable Leopard . Source: L'ordre Noir aux éditions Bellevue année 1979.
En service depuis 1967, le char de combat Chieftain restera encore longtemps en première ligne; très bien protégé et armé par le même canon de 120 mm que le Challenger, il bénéficie d'un nouveau système de conduite de tir.
Source: L'encyclopédie des Armes n°76 aux éditions Atlas.
Le Kfir C2 de l'aviation israélienne. Source: Scale Aircraft Modeler Vol 6 n°3  année 1978.


"" La guerre blindée israélienne ""
Un homme, Israël Tal, a forgé les thèses de l'arme blindée de son pays, alors qu'il préparait la guerre des Six Jours. En comparant les méthodes et les armes de l'Egypte avec celles d'Israël, Tal s'aperçut que les conseillers militaires soviétiques entraînaient soigneusement les Égyptiens (et les Syriens) à reproduire scrupuleusement la méthode de combat soviétique qui avait connu le succès lors de la gigantesque bataille de Koursk. Ainsi les Soviétiques avaient fait barrer les approches du Sinaï par des retranchements défensifs (les "boucliers") composés de front antichars enterrés et de positions d'artillerie. Plus loin en arrière stationnaient des forces blindées (les "épées").
Le piège devait fonctionner de la façon suivante : les armes antichars arrêtent d'abord les chars israéliens, l'artillerie les sépare ensuite de leur ravitaillement qui les suit en camion bâchés non protégés. Quand les blindé ennemis commencent à manquer de carburant et de munitions, les "épées" constituées de troupes fraîches lancent de violentes contre-attaques contre des forces immobilisées fatiguées et déjà passablement entamées par les antichars. Cette méthode avait asséné à Koursk le coup fatal à le Panzerwaffe allemande. Elle ne pouvait que réussir à nouveau.
Mais Tal avait lui aussi lu tous les ouvrages parus sur Koursk. Il pensait que cette méthode appliquée à la situation de 1967 péchait sur plusieurs points. Les canons sans recul et les lance-roquettes soviétiques des "boucliers" n'avaient que 500 mètres de portée pratique alors que les canons des chars israéliens (canon de 75 mm français des Sherman modernisés, canon de 83,4 mm des Centurion britanniques ou canon américain de 90 mm des M48) pouvaient tirer jusqu'à 1 000 ou 1 500 mètres. Ces chars relativement anciens disposaient aussi d'épais blindages avant. Il en concluait que la meilleure tactique "anti-Koursk" était de faire avancer les chars israéliens à une distance où les antichars soviétiques ne pouvaient les atteindre mais où, par contre, les canons israéliens pourraient détruire l'adversaire. Grâce à un entraînement, Tal réussit à obtenir de ses canonniers des tirs lointains extrêmement précis.
Le 6 juin 1967, les chars israéliens se présentent devant les "boucliers" égyptiens, obligent les antichars à se dévoiler par des tirs de mitrailleuses lourdes et les détruisent les uns après les autres à l'explosifs. Les chars traversent alors les retranchements, bousculent l'artillerie et vont tendre, à partir de positions défilées, des embuscades aux forces blindées égyptiennes en plein déploiement. Ce brillant raisonnement tactique explique l'effondrement égyptien, les Soviétiques n'ayant appris à leurs élèves aucune méthode de rechange.

"" L'école de la mobilité tactique ""
Tal conceptualise sa pensée après la guerre et se fait le chef de file d'une école tactique qui apparente le combat blindé à un match de boxe : le vainqueur est celui qui combine la plus grande allonge avec la meilleure garde. Pour Israël Tal, l'élément primordial du char d'assaut est son aptitude à évoluer sans encombre sous le feu ennemi et à gagner une position de tir où il peut détruire son adversaire alors qu'il est lui-même protégé ou hors de portée. Il donne à cette faculté le nom de "mobilité tactique", qu'il ne faut pas confondre avec la "mobilité-agilité" du char, qui dépend, elle, de ses performances d'accélération ou de vitesse... Tal ne faisait en cela que redécouvrir un principe de base du combat blindé.
En fait, Tal s'opposait surtout à une nouvelle école de pensée apparue en Europe et qui privilégiait la mobilité simple, l'agilité du char au détriment de sa protection. Prétextant que l'apparition de la charge creuse rendait vulnérable n'importe quelle épaisseur de blindage, les Européens avaient essayé de mettre leurs nouveaux chars AMX 30 et Leopard à l'abri des coups par un surcroît de mobilité, obtenu essentiellement en allégeant le blindage, qui ne protégeait plus guère que contre les éclats d'obus et le tir des armes automatiques jusqu'à 20 mm.
Selon Tal, il aurait fallu une agilité sans précédent en accélération, vitesse, virage et freinage pour protéger le char par la mobilité, ce que ne permettait pas, à l'époque, les moteurs, les transmissions et les suspensions disponibles.
Tal critiquait sévèrement l'AMX 30 et le Leopard I, les traitant de "sous chars d'assaut" n'offrant aucun intérêt tactique. Il prévoyait que ces gros chars légers ne mènerait qu'à des duels à mort absurdes et aléatoires, où seul celui qui tirerait le plus vite aurait raison. Il réaffirmait que la qualité principale du char résidait dans la combinaison protection-puissance de feu.
Dans ce contexte, la mobilité était de moindre importance, puisqu'elle ne servait qu'à faire parvenir le char à une position de tir favorable. Une bonne vitesse de croisière en tous terrains suffisait, la vitesse réelle au combat n'étant pas celle du char lui-même, mais la vitesse d'exécution des phases de combat par l'équipage (recherche de la position de tir, acquisition de l'objectif, rapidité et précision du tir, rapidité du rechargement, coordination entre les membres de l'équipage) qui ne s'obtient, elle, que par un "drill" intensif. La vitesse au combat est donc plus fonction des automatismes acquis par les équipages que la seule puissance mécanique.
Outre cette vision reléguant la mobilité au troisième rang des caractéristiques du char devant la puissance de feu et la protection, vision somme toute traditionnelle puisqu'elle état partagée par les Britanniques, Tal avançait aussi que, dans certaines circonstances, le char pouvait grâce à sa "mobilité tactique" opérer seul, l'infanterie motorisée et l'artillerie tractée dont disposaient les Israéliens en 1967 n'ayant fait que retarder son avance. C'était vrai durant la guerre des Six Jours, mais cela ne l'était plus après 1970 avec la mécanisation de l'infanterie et de l'artillerie israélienne.
Malheureusement personne ne songea alors à réadapter la doctrine dans ce sens et réintroduire la coopération entre les armes. Curieusement, la seule idée retenue à l'étranger dans la "doctrine Tal" sera celle du combat solitaire du char. La critique des chars européens sera passée totalement sous silence.          
Un AMX 30 du 3e régiment de cuirassiers de Lunéville (4eD.B.) tire à Mourmelon. Le chiffre 301 sur l'arrière de la tourelle indique qu'il s'agit du premier char du 3e escadron, donc le char du capitaine reconnaissable à ses trois antennes radio. Notez le nuage de poussière dégagé par le souffle du coup, nuage qui gêne considérablement le tireur pour suivre son obus et corriger son tir.
Source: Connaissance de l'Histoire n°47 de juillet-août 1982.


"" Chars contre missiles ""

Après la guerre des Six Jours, les Israéliens se fixèrent sur leurs méthodes victorieuses, croyant qu'elles réussiraient toujours. La France elle-même était tombée après 1918 dans cette voie de facilité. Les enseignements de la guerre de 1967 furent donc acceptés comme corps de doctrine rigide.
Les Israéliens y perdirent leur qualité principale : la souplesse d'esprit. Ils ne réalisèrent pas que ces méthodes n'avaient réussi qu'en fonction de circonstances et que celles-ci pouvaient changer. Or, les Égyptiens qui préparaient leur offensive s'attachaient justement à faire changer ces circonstances. Ils trouvèrent ainsi la parade à la toute puissance blindée israélienne : le missile antichar filoguidé à longue portée (500 à 3 000 mètres). Cette fois-ci, l'arme antichar reprenait l'avantage d'une allonge supérieure.
La première phase de la guerre d'octobre 1973 se ramena à un combat sans merci entre des chars seuls et un épais rideau de missiles antichars. Ces duels se soldèrent par de cuisants échecs israéliens. Il faut toutefois préciser que les pertes israéliennes s'expliquent aussi par la précipitation de contre-attaques mal coordonnées, lancées sans reconnaissance préalable du terrain, où les masses compactes de char sans soutien et sans accompagnement tombèrent dans de meurtrières embuscades.
Certains spécialistes conclurent un peu prématurément qu'il fallait condamner le char. En fait, la surprise venait moins du premier engagement en nombre et avec succès des missiles antichars que de l'impact psychologique que pouvaient revêtir les premiers revers israéliens après vingt-cinq années de victoires successives.
Les Israéliens furent surtout victimes du profond mépris qu'ils nourrissaient à l'égard des Arabes. L'armée israélienne avait été la première à introduire des missiles antichars SS-10 et SS-11 montés sur Dodge ou half-track et elle en connaissait parfaitement les performances. Mais les Israéliens ne s'inquiétèrent pas de l'apparition en masse de ce genre d'armes dans les armées arabes, pensant que jamais leurs soldats ne parviendraient à maîtriser le guidage difficile des engins filoguidés.    
Un missile filoguidé antichar français SS-10 est préparé pour un tir d'essai lors d'une évaluation par l'US Army en 1959.
Source: Les armes de la terreur par William J. Koenig aux éditions E.P.A. 1982.
Le SS-11, à guidage par fils, dont la version AS-11 est tirée d'avions légers ou d'hélicoptères.
Source: Fusées et Astronautique aux éditions Larousse 1964.


"" Le char condamné ? ""
La suite de la guerre du Yom Kippour est intéressante. Le rideau antichar fut totalement percé par une combinaison d'armes : tir d'artillerie à l'explosif et au fumigène, emploi massif des mortiers (tous les bataillons de chars israéliens disposent d'une compagnise d'appui avec des mortiers de 120 mm sur half-track), coordination des attaques entre les chars et les fantassins mécanisés, emploi en première ligne de canons antiaériens tirant au sol pour créer des "sacs à feu" et aveugler les défenses adverses... L'idée que le char pouvait opérer seul a bien fait faillite dans les circonstances de 1973. Mais ce sont tout de même les chars qui inversèrent le cours de la guerre, une fois élaborées les manœuvres d'évitement des missiles et les tactiques d'approche.
Ils remportèrent l'importante bataille du 14 octobre 1973 contre les Égyptiens qui tentaient une poussée vers les cols du Sinaï.
La "mobilité tactique" joua ici à plein. Les chars israéliens embossés dans des positions de tir creusés par les engins de combat du génie ou abrités à défilement de tourelle derrière les replis de terrain, firent porter grâce au pointage négatif de leur canon leur tir précis sur des chars égyptiens attaquant à découvert. Les blindages épais des Israéliens résistèrent aux obus des canons de 100 et 115 mm soviétiques qui tiraient à la limite de leur portée pratique.
Une opération combinée permit ensuite d'identifier la faille dans le dispositif adverse à la jonction entre deux corps d'armée d'y enfoncer un coin, de traverser le canal de Suez et d'exploiter la percée de manière décisive dans le plus pur style de la guerre éclair.
Loin de sonner le glas du char d'assaut, la guerre du Yom Kippour a réaffirmé la justesse des principes de base du combat blindé. En tirant les leçons de leur guerre, les Israéliens ont réaffirmé leur confiance dans le concept de la mobilité tactique et dans le char lourd. Mais ils ont en même temps remis l'accent sur l'emploi coordonné des grandes unités mécanisées.
Ils sont même allés plus loin dans cette voie et ils nous montrent peut-être l'avenir en dépassant la simple idée d'opérations combinées et en supprimant les subdivisions d'armes génératrices de "guerre des boutons", pour la remplacer par une seule et même arme qui englobe presque toute l'armée de terre : les "troupes blindées" (amalgame de l'arme blindée, de l'infanterie mécanisée, de l'artillerie et du génie qui combattent désormais toutes à bord d'engins blindés).
L'homme chargé de mener à bien cette difficile réforme est Israël Tal, l'actuel chef d'état-major de l'armée de Terre israélienne. Ces précisions permettent de mieux comprendre la doctrine d'emploi qui a présidé à la naissance du Merkava.        
Le major général Israël Tal, père du Merkava, pose devant son oeuvre. Cette photo met bien en valeur, d'autre part, les dimensions imposantes du châssis du char israélien.
Source: Connaissance de l'Histoire n°56 de mai 1983.


"" La foi d'un homme seul ""

Général Estienne
Heinz Guderian
Comme la plupart des grandes réalisations en matière de blindée, le Merkava est dû à la foi inébranlable d'un seul homme, à l'instar des efforts solitaires et enthousiastes du général Estienne ou de Heinz Guderian, pour ne citer qu'eux... C'est Israël Tal qui défendit la cause d'un char entièrement construit en Israël. Il dut affronter bien des scepticismes et des obstacles au plus haut niveau, avant de voir son projet accepté par le gouvernement en 1970.
Mais Tal eut ensuite à convaincre les industriels peu enclins à réaliser les énormes investissements nécessaires pour un programme qui leur paraissait douteux. L'idée fit son chemin, car Tal sut mettre en avant les retombées technologiques et industrielles d'un programme de char pour l'ensemble de l'industrie israélienne. L'infrastructure de fabrication du char, notamment les machines extrêmement coûteuses achetées à l'étranger, pourrait servir à d'autres utilisations. L'industrie ferait des progrès dans des secteurs importants comme l'aciérie, la mécanique lourde, l'optique...
En retranchant ces investissements d'intérêt national du coût du programme, le Merkava ne coûterait finalement pas plus cher que la nouvelle génération de chars occidentaux (XM-1) et Leopard 2, qui ne pourraient de toute façon pas être achetés par Israël pour des raisons politiques. 

Un prototype vdu char XM-1 Abrams. Source: Connaissance de l'Histoire n°28 de octobre 1980.
Un char Leopard ouest allemand. Source: Les armes de la terreur aux éditions E.P.A.


"" Le déroulement du programme ""
La conception du Merkava a démarré entre 1967 et 1969. Le Merkava ("char de guerre" en hébreu et au sens antique du terme) intègre donc les impératifs militaires issus de la guerre des Six Jours et non, comme on le voit trop souvent, ceux de la guerre de 1973. Les Israéliens ont dégagé après cette guerre les secteurs dans lesquels il fallait faire des progrès par rapport à leurs chars en service (Centurion, M 48 et M 60). Il ne pouvait s'agir ni de la mécanique ni de l'artillerie. En effet, à l'époque, l'Israel Ordnance Corps (le Service du Matériel, qui possède ses propres arsenaux) modernisait les Centurions et les M 48 en service avec les principaux éléments du M 60 Patton : le conon Vickers L 7 de 105 mm, le moteur Teledyne-Continental AVDS 17902 A et la boite de vitesses Detroit Diesel Allison CD 850.
Pour des raisons de standardisation et parce que l'industrie israélienne n'avait pas l'assise nécessaire pour développer elle-même ces composantes, le char futur devait utiliser ces normes d'interchangeabilité.
Comme les Israéliens ne pouvaient envisager de faire des progrès dans la propulsion, la suspension et la puissance de feu de leur char, ils décidèrent de concentrer leurs recherches dans le domaine de la protection et de l'ergonomie, bref dans ce qui concerne la structure générale du char, ce qui explique la plupart des originalités du Merkava, sur lesquelles nous reviendrons.
Si la conception a démarré entre 1967 et 1969, c'est entre 1972 et 1974 que se situe la gestation du Merkava. Ceci expliquerait les rumeurs entendues vers 1972 sur la construction d'un char nommé Sabra ou Ben Gourion. La guerre du Yom Kippour est donc intervenue en pleine étude technique et il est probable que les prototypes ont pu intégrer les modifications dictées par les enseignements de cette guerre. Mais ceci n'est guère important, car, comme nous l'avons déjà dit, les conclusions d'après 1973 étaient fort peu éloignées de celles d'après 1967 et n'entraînaient pas un changement radical de configuration du Merkava.
Le besoin était toujours celui d'un char doté d'une excellente protection directe et indirecte, d'une puissance de feu adaptable à la menace (canon de 105 mm à l'origine, mais avec possibilité de monter un calibre supérieur), d'une ergonomie soignée... La mobolité n'apparaît qu'en dernière position des performances requises. Ces caractéristiques marquent une très nette influence allemande ou britannique. Les équipages israéliens tenaient, en effet, le Centurion en très haute estime.


"" Essai préalable du Chieftain ""
Il est intéressant de noter que les Israéliens ont bien essayé le char britannique Chieftain avant d'entreprendre le développement du char Merkava. Trois exemplaires du Chieftain étaient arrivés en Israël dans le plus grand secret en octobre 1966, alors que ce char n'était pas encore entré en service en Grande-Bretagne. Un groupe de conseillers britanniques discuta les modifications à y apporter pour un emploi dans le désert. Un accord de principe fut même conclu à Londres pour l'établissement de l'infrastructure nécessaire à une production locale sous licence.
La guerre des Six Jours en 1967 mit fin aux activités du groupe britannique en Israël, qui quitta précipitamment le pays, laissant les Chieftain aux Israéliens. Ces chars ne seront rendus que bien plus tard, un témoin les ayant observés dans le Sinaï en 1969. On sait que l'achat du Chieftain par Israël échoua par suite de pressions des pays arabes producteurs de pétrole et de la perspective du fabuleux contrat iranien d'achat de près de 1 000 Chieftain.
Toujours est-il que les Israéliens eurent l'occasion d'étudier ce char, qui correspondait bien à leur ordre de priorité en matière de caractéristiques techniques : puissance de feu en première place, puis protection en second et mobilité au dernier rang.
Les essais des prototypes du Merkava ont débuté entre 1975 et 1977, année où intervient la diffusion de la première photographie d'un Merkava. Les exemplaires de présérie (une quarantaine, selon certaines sources) ont suivi de près les prototypes.
On constate donc que la durée du programme a été réduite d'à peu près un tiers par rapport à un programme européen, mais les Israéliens n'ont pu gagner du temps qu'en réduisant la première phase : celle de la conception, grâce à leur pragmatisme et à leur souplesse dans l'action.
La réalisation technique, elle, a demandé un délai normal : les problèmes techniques ne pouvaient, en effet, être comprimés.
Dans cette deuxième phase, les Israéliens se sont bornés à ne point perdre de temps. Ces deux premières phases restaient à la portée du budget israélien : la conception représentait environ 2,5 % du coût global d'un programme et la gestation 12,5 %.
Par contre, les Israéliens ont hésité devant le lancement de la fabrication en série. Seule l'aide financière accordée par le président Carter les a décidés à continuer. La chaîne de construction tournait à faible cadence (une centaine d'exemplaires par an), les livraisons de M 60 suffisant à couvrir les besoins. Le Merkava était construit dans l'usine de Tel Achmer à 8 km de Tel Aviv à partir de composants qui sont à 40 % de fabrication entièrement israélienne, à 36 % de provenance étrangère fabriqués sous licence ou assemblés en Israël et à 24 % importés complets de l'étranger.
Ce n'est que dans le cas d'un embargo américain total sur les livraisons de M 60 que les Israéliens pousseront alors la cadence de fabrication du Merkava.
Le principal apport du Merkava en matière de développement des blindés réside dans l'adoption d'un concept de protection qui l'éloigne radicalement de toutes les réalisations précédentes.  

Au départ on le baptisa le "mulet", réalisé sur châssis du Centurion, au tout début du programme Merkava pour en tester la "faisabilité" technique. Un mulet n'est pas un véritable prototype de système d'arme mais son ébauche.
Cet autre "mulet" a été réalisé à partir d'un châssis de M 48 Patton avec sa tourelle d'origine. On s'est contenté ici d'inverser la disposition du char américain en transformant son avant en arrière et vice-versa.
 Premier prototype du Merkava avec ses véritables tourelles et châssis.
Source: Ces quatre photos proviennent de la revue Connaissance de l'Histoire n°56 de mai 1983.
 Des M 60 A1 chargés à bord d'un train à Llisheim, en Allemagne, en août 1976, pour l'exercice Reforger. Source: Connaissance de l'Histoire n°28 d'octobre 1980.


"" Un nouveau concept de protection ""
Les études d'Israël Tal sur le comportement des chars au combat en 1967 l'avaient déjà persuadé que l'on pouvait améliorer sensiblement la protection des équipages par une nouvelle conception de l'architecture des chars. Laguerre du Yom Kippour et les nombreuses pertes en vies humaines qu'elle a entraînées n'on fait que le renforcer dans cette idée. Les 3 000 Israéliens tués lors de la guerre de 1973 correspondraient proportionnellement en France à 50 000 morts... Rappelons qu'Israël ne compte que 3 millions d'habitants (en 1983).
Par leurs contacts les industriels européens et par leurs services de renseignements, les Israéliens étaient au courant du développement des nouveaux blindages spéciaux, comme le Chobham britannique ou le blindage du Leopard 2 allemand.  
Le char Challenger de la British Army a été le second char de combat à utiliser le blindage Chobham.
Source:l'Encyclopédie des Armes n°76 aux éditions Atlas.

Mais ils savaient aussi que cette technologie resterait secrète, qu'elle ne serait pas exportée, et surtout pas en Israël et qu'il leur faudrait de nombreuses années avant de l'acquérir par une voie ou une autre. La protection des équipages israéliens devrait donc être obtenue à partir d'un blindage classique. Seul un nouveau concept de protection pouvait y parvenir.
Sur les chars existants, l'équipage, les munitions, le groupe moto-propulseur et les différents systèmes assurant le fonctionnement du char sont protégés par un même blindage qui les entoure en bloc. Sous le blindage, le seul élément de protection supplémentaire se borne à la cloison pare-feu qui sépare le moteur du compartiment de combat. Une fois le blindage percé par un projectile, tout ce qui se trouve à l'intérieur du char est menacé de la même façon.
Israël Tal pensait depuis longtemps qu'il était inconcevable de traiter sur un même plan l'équipage, le moteur, les systèmes et les munitions... C'est la survie des hommes d'équipage qui importait, pas celle des systèmes. La conclusion logique fut qu'il fallait utiliser ces derniers pour assurer la protection des premiers : il importait donc de placer les deux éléments les plus vulnérables, les hommes et les munitions, au centre des différents systèmes, tout autre élément du char concourant à la protection de l'élément central.
La protection de l'équipage est donc assurée sur le Merkava par :
- l'ensemble moteur-boite-transmission, placé à l'avant pour faire écran.
- la partie avant de la caisse constituée d'un seul bloc en acier très résistant.
- un blindage espacé pour la tourelle, les côtés et l'arrière de la caisse.
- divers éléments placés dans les compartiments du blindage espacé : les réservoirs souples auto-obturant dans des casiers situés au-dessus des chenilles et dont le carburant sert de pré-blindage comme sur le char "S" suédois (15 cm d'épaisseur de carburant diesel équivaut à une protection de 10 mm d'acier); le lot de bord et ses outils; les conteneurs de liquides hydraulique et tourelle; les batteries; le système de filtrage d'air... Mis à part les munitions du canon, tout ce qui est inflammable ou explosif (huile, liquide hydraulique des servo-commandes, munitions des mitrailleuses en réserve, grenades...) est séparé de l'équipage pour prendre place dans le blindage espacé. De plus on a monté dans le char un système d'extinction automatique des le début d'incendie, système réalisé par la firme Spectronic.
- la tourelle dessinée pour être la plus ramassée et la plus effilée possible. La majorité des obus atteignent les chars au niveau de l'avant de la tourelle. Réduire la silhouette de la tourelle fait diminuer la probabilité d'atteinte. Dans le Merkava, les trois hommes en tourelle sont assis très en arrière et sont protégés par le cône en pointe soudé à l'avant;
La particularité principale du Merkava est d'avoir son moteur à l'avant; les autre chars du monde l'ont à l'arrière. Notons que ce moteur est décalé à droite (à gauche sur la photo), le pilote occupant l'avant gauche du char.
Source: Connaissance de l'Histoire n°56 de mai 1983 aux éditions Hachette. 
Vue de l'arrière du Merkava, la petite porte à gauche de la photo donne sur le compartiment des batteries; la porte fermée à droite, donne accès au dispositif de filtrage N.B.C.; quant à la porte centrale à 2 battants, elle permet d'entrer dans le char. Notons sur ces 2 battants l'épaisseur du blindage espacé de l'arrière du Merkava.
Source: Connaissance de l'Histoire n°56 de mai 1983 aux éditions Hachette.

"" Grosse caisse et petite tourelle ""
On critique en Europe les dimensions généreuses du Merkava, supérieures à celles des autres chars. A cela, les Israéliens répondent que les Européens confondent "capacité" et "protection". Avec le T-54-55, l'AMX 30 et le Leopard I, on avait tenté de réduire la probabilité d'atteinte en diminuant les dimensions du char. Or, d'après les statistiques de combat israéliennes, la majorité des obus atteignent les chars an niveau de la tourelle. Comme les Israéliens cherchent toujours à combattre à défilement de tourelle, ils n'avaient besoin que de réduire la surface apparente à défilement, c'est-à-dire la tourelle. Les dimensions de la caisse furent, par contre, jugées secondaires parmi les causes de vulnérabilité du char. Un blindage efficace associé à un bon profilage des plaques avant suffisent à protéger la caisse.
Les larges dimensions de celle-ci offrent des avantages indéniables. L'augmentation du volume utile de la caisse permet de soigner l'ergonomie. Le niveau de confort est fonction de la place offerte à l'équipage et à la disposition des commandes qui en découle. Le confort détermine la durée de vie à bord et le maintien de la capacité de combat.
Le combat en char ressemble en cela au combat en mer. Celui des deux adversaires qui bénéficie du plus grand confort maximise ses chances de durer longtemps. La disproportion entre les forces israéliennes et arabes et l'impossibilité de remplacer les équipages obligent les chars israéliens à combattre de manière ininterrompue sans être relevés. L'OTAN et la France se trouvent dans la même situation. Toujours pour durer plus longtemps, de larges dimensions permettent d'accroître l'autonomie de combat avec des dotations de munitions plus importantes et plus de carburant. Enfin, ces larges dimensions rendent plus faciles les programmes de modernisation. Un char aux dimensions par trop bridées n'a souvent que peu de possibilités de développement ultérieurs.      
Détail de la tourelle du Merkave : on aperçoit les coffres latéraux qui la bordent et qui indiquent bien l'emploi d'un blindage espacé.
Source: Connaissance de l'Histoire n)56 de mai 1983 aux éditions Atlas. 
Le char T-54-55 devint le char de bataille standard du bloc soviétique, le T-55 sorti en 1961.
Source: La puissance militaire soviétique aux éditions Bordas 4e trimestre 1981.


"" Une mobilité (utile) ""
Dans le concept israélien, la "mobilité utile" se limite à une vitesse moyenne correcte en tous terrains, qui n'exige que du couple (puissance de traction à bas régime) et une suspension robuste. La vitesse sur route n'est pas nécessaire en Israël, car les chars sont déployés vers les zones de combat sur porte-chars routiers. C'est aussi une des raisons des dimensions du Merkava, les Israéliens pouvant s'affranchir du gabarit de transport sur voie ferrée.
Le moteur Teledyne-Continental AVDS 1790 5A de 750 CV a été porté à 900 CV. Avec un poids de 58 à 62 tonnes, cela confère au Merkava le plus faible rapport poids-puissance de tous les chars occidentaux. Les Israéliens n'ont pas voulu employer une suspension à barres de torsion coûteuse, difficile à produire à cause des aciers très spéciaux nécessaires. Ils ont préféré une suspension à ressorts hélicoïdaux indépendants et à fort débattement (210 mm).
Ce système simple et robuste est plus pratique que les bogies doubles du Centurion et du Chieftain. Il est surtout beaucoup plus facile à remplacer.
Très attentifs aux problèmes des mines, les Israéliens ont préférés placer les éléments de suspension à l'extérieur pour pouvoir les remplacer facilement plutôt que de les placer sous le blindage. Ces solutions sont classiques et moins avancées que les plus récents développements américains et allemands. L'utilisation de sous-ensembles éprouvés et de large diffusion est toutefois un facteur de fiabilité, qualité à laquelle les Israéliens attachent la plus grande importance. L'adoption de ces composants, les seuls à être actuellement fabriqués sur place, a été décidée pour ne pas retarder la mise au point du char. Les possibilités d'amélioration en rattrapage de la suspension et du moteur ont été prévues dès le début du programme, ce qui laisse le temps de développer des éléments purement israéliens et plus performants. Le même raisonnement a été appliqué au canon.    
On distingue très nettement ici la suspension du Merkava, une suspension fiable et robuste inspirée de celle des chars britanniques.
Source: Connaissance de l'Histoire n°56 de mai 1983 aux éditions Hachette.


"" Confiance au canon de 105 mm ""

Les Israéliens avaient choisi le canon de 105 mm Vickers L 7, qu'ils fabriquaient sous licence depuis de nombreuses année. En 1973, ce canon s'est révélé supérieur à ses adversaires soviétiques, le 100 mm des T-54-55 et le 115 mm du T-62, rendant à ce dernier quelques 800 m de portée pratique.
Mais comme les Israéliens ne savaient pas si les progrès réalisés avec les munitions de 105 mm répondraient à l'évolution de la menace, ils se sont réservés la possibilités de monter sur le Merkava un canon de 120 mm. La tourelle et sa circulaire ont été conçues dès l'origine pour emporter cette arme sans modifications majeures. Le problème est en effet que le blindage avant du T-64 - T-72 soviétique ne peut être percé par l'APDS de 105 mm (ni par l'obus G du canon F 1 de l'AMX 30). Dans l'immédiat, le nouvel obus APFSDS de 105 mm développé par I.M.I. (Israel Military Industries) à tige perforante sous-calibrée en alliage ferronickel-tungstène devrait suffire à rétablir l'équilibre, mais les Israéliens pensaient déjà au blindage du nouveau T-80.
Le Merkava emploie une télémétrie-laser avec calculateur. Mais la possibilité d'utiliser la mitrailleuse coaxiale de 7,62 mm comme arme de réglage a sans doute été conservée, les équipages israéliens appréciant particulièrement ce mode de réglage simple. Les Israéliens qui n'attribuent avec raison qu'une confiance limitée aux performances de l'électronique sophistiquée dans le feu du combat ont certainement voulu se réserver cette solution de rechange en cas de panne. Les événements du Liban viennent de confirmer la stabilisation du canon et la possibilité de tir en marche.
Un char T 62, une faible pression au sol et un bon rapport poids, puissance permettent au T-62 d'opérer sur des terrains très friables.
Source: La puissance militaire soviétique aux éditions Bordas 4e trimestre 1981.
Des chars T-64, les T-64 et T-72 commencèrent à remplacer le T-55 dans les unités blindés soviétiques durant les années 1970.
Source: Les armes de la terreur de William J. Koenig aux éditions E.P.A. 1982. 
Le char moyen soviétique T-72 est plus léger que ses homologues occidentaux; il n'en constitue pas moins une arme efficace.
Source: Les armes de la terreur de William J. Koenig aux éditions E.P.A. 1982.
Ce char T-80 n'est qu'une maquette, mais la réalité est saisissante, du réel, bravo à LoÏc Riou.   Photo du magazine Histoire et Maquettisme n°27 de juillet-août 1993.


"" Le secret du Merkava ""
Lorsque la première photographie du Merkava fut diffusée, tout le monde put observer à l'arrière du char la présence d'un compartiment libre qu'on pouvait difficilement expliquer puisque le moteur prenait place à l'avant et la tourelle au centre. Les Israéliens annoncèrent à grand renfort de publicité que ce compartiment servait à embarquer des fantassins : neuf soldats assis ou six blessés couchés !... Cette information faisait en réalité partie d'une campagne d'intoxication destinée à cacher le plus longtemps possible la véritable utilisation de ce compartiment. 
Trois portes s'ouvrent sur cet arrière. Les deux plus petites donnent accès à droite au système de filtrage NBC et à gauche aux batteries. La porte centrale ouvre sur la soute à munitions; cette disposition à permis de stocker les munitions derrière la tourelle, dans la partie basse de la caisse. Les munitions trouvent donc place à l'endroit le moins vulnérable du char. Elles sont groupées dans des conteneurs résistant à la chaleur qui sont introduits dans le char par la porte arrière, entreposés dans des paniers et maintenus par des lanières.
Chaque conteneur contient quatre obus. Huit coups supplémentaires prêts au tir sont entreposés en tourelle. Il est possible d'utiliser le couloir arrière pour entreposer quatre conteneurs de plus, mais l'évacuation par la porte centrale arrière devient alors impossible. Le Merkava emmène donc une dotation de 70 à 80 coups, soit un peu moins du double de la dotation en munition des chars actuels.
Ce mode de conditionnement des munitions présente un avantage tactique de très grande valeur. Depuis la guerre des Six Jours, les équipages de l'armée blindée israélienne se plaignaient de la lenteur du mode classique de chargement des obus. Cette laborieuse opération demandait trois quarts d'heure à une heure à un équipage entraîné. Il fallait en effet couper le cerclage en métal des caisses en bois dans lesquelles sont livrées les munitions, retirer chaque obus en lui enlevant ses gaines de mousse, porter chaque obus séparément et l'introduire dans la tourelle par l'écoutille du chargeur.
A l'intérieur, le chargeur devait positionner chaque obus dans son râtelier et l'y fixer. Pendant ce temps, l'armée perdait une bouche à feu en première ligne...
Depuis l'entrée en service du Merkava, les conteneurs de munitions conditionnés par palette de transport standard sont déposés près de chaque char par un camion-grue, il suffit d'introduire chaque conteneur directement par la porte arrière et de le fixer dans son panier. L'opération est trois fois plus rapide, alors que la dotation en munitions du Merkava est largement supérieure d'un tiers à celle des chars occidentaux. On remarquera que les Israéliens ont conservé le radio-chargeur. Ils estiment, en effet, qu'un homme bien entraîné peut-être aussi rapide qu'un chargement automatique, trop coûteux et peu fiable jusqu'à présent, et qu'un homme d'équipage supplémentaire n'est pas de trop pour participer aux manœuvres de force requises par les chars (rechenillage, changement du moteur ou du canon, chargement des munitions ...)
Si les Israéliens ont de plus ajouté un système de ravitaillement sous pression pour le carburant, comme cela existe en aéronautique, ils ont pu réduire considérablement le temps nécessaire pour faire les pleins, moment où les unités de chars sont très vulnérables.
En gagnant du temps sur les deux ravitaillements principaux, les Israéliens disposent de chars qui se représente beaucoup plus vite au combat. Ils n'ont en effet, que peu de chars à opposer à leurs adversaire et doivent maximiser l'efficacité de ce petit nombre de chars (qui, soit dit en passant, est tout de même le triple de celui de l'armée française).
Les unités dotées de Merkava possèdent donc un avantage tactique essentiel par rapport à un adversaire qui utilise le système traditionnel de ravitaillement. Moins vulnérables car ravitaillées plus vite, elles n'ont pas à se retirer très en arrière de la ligne des combats pour faire les pleins. Revenant très rapidement en première ligne avec des dotations supérieures, elle peuvent attendre que leur adversaire soit obligé de se retirer pour se ravitailler et profiter du flottement qui se produit toujours dans la relève d'unités pour attaquer.
Quand on sait que de nombreuses victoires ont été obtenues par des contre-attaques sur un ennemi en cours de ravitaillement, on comprend l'importance considérable de l'avantage gagné par les Israéliens et celui qu'aurait l'OTAN (qui se trouve dans la même position qu'Israël pour ce qui est du rapport numérique défavorable en chars) à se doter d'un système de ravitaillement similaire.
Ce système, largement inspiré de celui des automoteurs d'artillerie, n'existe et n'est prévu dans aucune autre armée au monde. Les Israéliens conserveront donc cet avantage pendant toute la décennie quatre-vingts.
La campagne d'intoxication visait donc à dissimuler une révolution tactique : le Merkava n'ayant été révélé à la presse que pour des raisons politiques, il fallait couper court à l'imagination des spécialistes et les lancer sur une fausse piste. La fable du transport de fantassins fut donc inventée. Cela à permis de tenir secret pendant trois ans l'organisation véritable du véhicule.   
Première apparition publique du Merkava en 1978 lors de la fête nationale israélienne au stade de Jérusalem. Cette photo permit, à l'époque de constater que le Merkava possédait à l'arrière plusieurs portes donnant sur un compartiment dont l'utilisation resta longtemps inconnue et souleva un vif débat.
Source: Connaissance de l'Histoire n°56 de mai 1983 aux éditions Hachette.


"" Possibilité de tir indirect ""
La similitude d'organisation générale entre le Merkava et un automoteur d'artillerie comme le M-109 va peut-être plus loin qu'on ne le soupçonne. Un détail n'a jusqu'à présent que peu retenu l'attention : le canon sort de la tourelle non pas par un masque classique mais par une profonde échancrure, recouverte d'une toile, comme dans l'artillerie de marine. Avec des tourillons placés visiblement assez en avant, cette ouverture supérieure doit permettre un pointage du canon en site positif de plus de 30°.
La hauteur de la caisse autorise en effet un pareil débattement de la culasse vers le bas. Ceci rend possible le tir courbe à l'explosif jusqu'à une portée maximale située entre 7 et 11 kilomètres. La façon dont sont stockées les munitions et la rapidité de recomplètement facilitent un éventuel emploi comme pièce d'artillerie. La présence pour la première fois sur un char israélien d'un manchon antiarcure laisse prévoir de grande cadences de tir. Avec la quantité de munitions transportées; le Merkava peut emmener une dotation normale de projectiles antichar, plus un cocktail important de munitions HE et fumigènes.
Cette hypothèse tient encore plus si un canon de 120 mm à âme lisse venait à être adapté, il pourrait alors tirer des obus à charge additionnelle. En 1973, pour contrer les missiles antichars à plus de 3 000 m, certains escadrons israéliens avaient utilisé le répétiteur d'azimut et le canon pointé "au bleu" (élévation maximum) pour tirer des projectiles explosifs. Les Israéliens ont découvert les avantages de l'artillerie automotrice, lors de la guerre d'usure en 1969-1970, en 1973 et dans les combats au Liban.
Cette arme correspond ainsi aux besoins d'Israël : arme technicienne adaptée à la mentalité d'un pays moderne et surtout arme qui évite l'engagement physique en première ligne. Il ne faut toutefois pas en conclure que le Merkava est un véritable automoteur d'artillerie, mais dans certaines situations tactiques, il doit pouvoir en faire fonction.  
L'obusier automoteur M-109 peut tirer aussi bien des munitions classiques que des obus nucléaires. On le voit ici avec un véhicule de ravitaillement M-548.
Source:Les armes de la terreur, par William J. Koenig aux éditions E.P.A. Paris 1982.
Poste du tireur dans la tourelle du Merkava. Il est beaucoup plus spacieux que dans les autres chars où le tireur est généralement assis devant le chef de char.
Source: Connaissance de l'Histoire n°56 de mai 1983 aux éditions Hachette.
Vue de l'arrière d'un Merkava de série reconnaissable au panier de rangement derrière  la tourelle et au dessin arrondi de ses jupes latérales et protection.
Source: Connaissance de l'Histoire n°56 de mai 1983 aux éditions Hachette.


Les Israéliens ont en effet constaté en 1973 que l'artillerie divisionnaire ne pouvait répondre rapidement aux demandes d'appui des bataillons de chars, car elle était trop occupée à ses missions prioritaires de contre-batterie (destruction des canons adverses) et de désorganisation des arrières ennemis. Il fallait de 1 à 3 heures pour obtenir un appui-feu.
Si, d'autre part, les unités de chars israéliens disposaient organiquement de mortiers (4 mortiers de 120 mm et 6 de 81 mm, portés sur half-tracks, par bataillon) disponibles immédiatement, la portée et la puissance de ces mortiers étaient insuffisantes pour traiter certains objectifs : unités adversaires en cours de déploiement ou de ravitaillement, P.C. avancé, interdiction d'un passage obligé, couverture d'un flanc menacé...
Ainsi la possibilité de tir indirect du Merkava permet-elle désormais au bataillon de chars d'intervenir puissamment sans attendre l'artillerie divisionnaire.
On peut être frappé par la souplesse d'emploi que confère au Merkava la seule présence d'une porte arrière qui permet d'embarquer de plain-pied dans le char.
Cette porte a d'autres utilités. Le Merkava peut effectivement embarquer quelques hommes, à condition de retirer des conteneurs de munitions. Cela permettra, par exemple, d'évacuer des fantassins surpris à découvert par un tir d'artillerie.
Mais cette porte est surtout utile à d'autres équipages de chars. Un équipage qui a quitté son char en difficulté se retrouve en effet à découvert en plein milieu du champ de bataille. Un autre Merkava peut alors facilement les prendre à son bord. Le couloir d'accès au compartiment de combat qui se trouve derrière la porte peut accueillir un homme d'équipage blessé. Les tankistes israéliens s'étaient auparavant toujours plaints de l'impossibilité d'évacuer un blessé couché dans un char classique.  
  Cette photo très spectaculaire illustre les possibilités de tir indirect du Merkava. Grâce à l'échancrure (recouverte d'un soufflet) de l'avant de la tourelle, le canon peut atteindre
une élévation maximum largement supérieure à celle de tous les autres chars en service.
Source: Connaissance de l'Histoire n°56 de mai 1983 aux éditions Hachette.

"" Le Merkava Mark 2 ""
Comme nous l'avons déjà mentionné, le Merkava est conçu pour subir un processus régulier d'amélioration au fur et à mesure de la disponibilité de nouvelles composantes. Le premier effort portera sans nul doute sur l'amélioration de la mobilité. Plusieurs moteurs sont envisagés : le diesel AVCR 1360-2 de 1 500 CV, concurrent malheureux du programme XM 1, où la turbine à gaz Avco-Lycoming AGT 1500 HP-C qui propulse le XM 1. Mais l'adoption du diesel Teledyne-Continental AVCR 1790 1 A de 1 200 CV développé sur fonds privés, semble plus probable, car ce moteur pourrait aussi être monté en rattrapage sur les Centurion, M-48 et M-60.
Une suspension hydropneumatique d'origine américaine est à l'étude chez Shahal Hydraulics, une division d'Israel Aircraft Industries. De plus, si l'apparition du T-72 en nombre dans l'armée syrienne se confirmait, le montage du canon allemand de 120 mm se justifierait plus tôt que prévu.

"" Objection votre Honneur! ""
Il arrive souvent qu'en Europe les enseignements israéliens soient niés sous prétexte que le désert du Sinaï ne peut être comparé au terrain européen, accidenté et compartimenté. Ceux qui connaissent le Sinaï savent que le désert n'y est pas plat comme la main. On y trouve une profusion de dunes, d'oueds, de dépressions qui s'apparentent à nos chemins creux, collines et vallons. Inversement, les terrains à char de l'Europe (plateau de Champagne, Beauce...) ressemblent assez au désert, quelques arbres mis à part. D'ailleurs, les distances moyennes d'engagement au Sinaï en 1973 n'ont guère été différentes de celles pratiquées en Europe en 1944-1945, malgré les progrès réalisés dans la portée des canons et la différence des conditions météorologiques. Dans le désert du Sinaï, les chars, malgré tous leurs dispositifs de tir lointain, se sont approchés de très près sans être vus pour tirer à défilement.
  La grande expérience de Tsahal dans le domaine des chars a permis la conception du Merkava.
Source: L'Encyclopédie des Armes n°17 aux éditions Atlas


"" Les leçons du Merkava ""
Pour toutes ces raisons, le Merkava devrait être disséqué avec autant de soins que le T-64 ou T-72. D'autant que les situations de l'OTAN et d'Israël se ressemblent sur bien des points : leur infériorité numérique face à l'adversaire, l'absence de glacis défensif et de préavis d'attaque... La seule différences réside dans le fait qu'à la lumière de leurs expériences récentes, les Israéliens se font une idée précise du combat blindé, alors que la dernière bataille de chars remonte en Europe à 1945. L'étude du Merkava permet de constater que les Israéliens basent leur raisonnement sur les principes intangibles de ce combat :
1) combat à défilement de tourelle.
2) combat de longue durée, où les dernières heures sont décisives.
3) fiabilité de la mécanique, d'où l'utilisation de solutions simples et éprouvées qui facilitent le travail de l'utilisateur. (Ici aussi il s'agit de durer.)
4) bonnes performances tous-terrains.
5) prise en compte à tous les niveaux d'étude du facteur humain.
A cet égard, le Merkava se distingue assez nettement des réalisations occidentales. Il est conçu pour les soldats d'un pays bénéficiant d'un haut niveau de vie. A ce propos, on peut rappeler qu'aujourd'hui la formule traditionnelle "remettre son âme à Dieu, son corps à la patrie et son honneur à soi" n'a plus aucune puissance évocatrice.
Il faut comprendre une bonne fois pour toutes que le soldat des sociétés industrielles avancées accepte de se battre à condition qu'on lui assure le maximum de chance de survie. D'où, sur le Merkava, l'accent porté sur la protection indirecte, la présence de la porte arrière comme sas d'évacuation rapide. Beaucoup d'équipages de chars israéliens ont été tués ou blessés par tir d'armes légères, alors qu'ils tentaient d'évacuer par leur haut leurs chars endommagés. Israël a peu de soldats et cherche à minimiser les pertes. L'absence de capacité de remplacement oblige à réutiliser les équipages survivants. La situation est la même en Europe.
Les avis des opérationnels ont constitué la base de l'étude du Merkava. Il faut préciser ici que les opérationnels israéliens savent précisément ce q'ils veulent. Militaires et ingénieurs sont d'ailleurs intégrés dans des équipes pluri-disciplinaires du début jusqu'à la fin du programme. Ils travaillent en commun plutôt que d'être consultés séparément ou au sein de commissions.   
Un Merkava de série sur le plateau du Golan. La mitrailleuse de 12,7 mm fixée au-dessus du canon ne sert ici qu'à l'entraînement. Elle permet de simuler le tir au canon.
Source: Connaissance de l'Histoire n°56 de mai 1983 aux éditions Hachette.


Le Merkava nous rappelle aussi que la supériorité de l'entraînement doit toujours l'emporter sur la sophistication technique.
Un bon bon équipage bien drillé qui s'arrête quelques secondes, tire vite, fait mouche et repart vaut toutes les conduites de tir modernes (sauf pour le tir à longue portée entre 2 000 et 3 000 mètres, tir peu utilisé en combat réel car le réflexe viscéral du chasseur qui est de s'approcher "au plus près" pour être sûr de ne pas rater son coup l'emportera toujours sur les possibilités de la technique!...) Les Israéliens pensent également que, face à des équipages arabes bien entraînés, un char est aussi vulnérable en mouvement qu'à l'arrêt. Les statistiques et le calcul des probabilités du temps de paix n'intègrent pas en effet l'état de grâce dans lequel se trouvent les tireurs quand ils savent qu'ils jouent leur vie...
La meilleure défense a toujours été le tir et non le mouvement. Si le char est à défilement, il s'impose par son tir précis, s'il est à découvert, il se protège par la rapidité de réaction de son équipage et par un tir soutenu et précuis, non par une course folle en zigzag, ou, pire, par un refus de combat en gagnant un abri d'où il sera inutile.
Un Merkava effectue une démonstration de tir sur le plateau de Golan au cours de l'été 1980.

Avec le Merkava, l'industrie d'armement israélienne a développé un char d'assaut sur la base de conceptions simples et efficaces qui s'apparentent à celles de la Panzerwaffe forgé par le général Heinz Guderian ou à celles qui conduisirent les Soviétiques à construire le T-34. Les Israéliens nous rappellent qu'une arme blindée reste une indissociable mélange de techniques, de tactiques et d'hommes. En cela, le Merkava est un produit homogène, issu d'idées profondément logiques, construit en vue d'un emploi précis au sein de concepts tactiques intelligents. Il est, d'autre part, utilisé par des équipages superbement entraînés par trois années de service militaire et de nombreuses périodes de réserve. 
On peut comparer ici les dimensions respectives du Centurion (à gauche) et du Merkava et remarquer la largeur du châssis de ce dernier.
Source: Connaissance de l'Histoire n°56 de mai 1983 aux éditions Hachette.

Le Merkava est, à l'instar de son nom un char de guerre pour faire la guerre, développé par des responsables dont les fils peuvent à tout moment, puisque le service militaire armé est une obligation en Israël, mener ce combat. Bien que parfaitement adapté aux besoins de l'armée israélienne et à la guerre blindée dans le désert, le Merkava devrait retenir l'attention des Européens : novateur tout en
réaffirmant les principes essentiels du combat blindé, il est le résultat de trente années d'expérience militaire et des enseignements de quatre guerre mécanisées victorieuses. 

Conclusion: Pour conclure sur le Merkava, il faut citer la réaction d'un ancien de la Panzerwaffe, qui a participé sur le front de l'Est aux plus durs combats blindés de l'histoire (Koursk...), et qui l'auteur du présent article décrivait les multiples originalités du Merkava : ""C'est le char dont nous rêvions alors pour affronter les Russes...""    
Un merkava en manœuvre sur le plateau du Golan? L'excroissance du capot moteur limite légèrement le tir en site négatif du canon.
Source: Connaissance de l'Histoire n°56 de mai 1983 aux éditions Hachette. 
Cette photo prise à moins de 100 mètres montre bien que le Merkava peut aisément se fondre dans le paysage où il évolue.
Source: Connaissance de l'Histoire n°56 de mai 1983 aux éditions Hachette.


"" La maquette du Merkava par Eric ""
Eric nous a réalisé un Merkava de série reconnaissable au panier de rangement derrière la tourelle, tout cela sur la base d'une maquette Tamiya, dont on connait la finesse des modèles et bien sur le doigté d'un maquettiste. Superbe modèle de mon ami Eric, j'ai vu plusieurs de ses maquettes ainsi que ses dioramas, n'hésite pas Eric à m'envoyer de nouvelles aventures

                                                                          Eric/Jean-Marie























































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