Latécoère Laté.631.

 



"" Le plus grand hydravion français ""


 





Historique : Les quatre premiers paragraphes, page 1510, de l'Encyclopédie de l'Aviation Mach 1, volume 6, aux éditions Atlas, Paris, 1980.

La revue Histoire et Maquettisme, n°4 - 5 et 6, aux éditions Heimdal, 1er trimestre 1989, par Vincent Greciet.


Sur le sujet voir aussi : Le Fana de l'Aviation n°1 - 393 - 394 - 395 - 396 et 397.




 




Historique : Les avions et hydravions de Pierre Georges Latécoère ont joué un rôle primordial dans le développement et l'essor des premières lignes aériennes françaises en Afrique, sur l'Atlantique Nord et en Amérique du Sud.

Passer, en 1917, de la construction de matériel ferroviaire à la production aéronautique, c'est-à-dire de l'industrie lourde à une activité où la précision, la sécurité, la légèreté sont des impératifs primordiaux, peut sembler impossible. C'est cependant la première réussite de Pierre Georges Latécoère, qui, en un an, parvient à sortir en grande série près de huit cent appareils militaires. En outre, dès l'Armistice, cet infatigable "capitaine d'industrie" lance sur la première ligne aérienne internationale des pilotes fraîchement démobilisés sur des machines qui venaient tout juste d'être désarmées : c'est son second pari et sa deuxième victoire! Soixante deux ans  de participation active à l'évolution de l'aéronautique française, c'est le troisième titre de gloire, et non le moindre, du fondateur de la Société industrielle des avions Latécoère (SIDAL).


"" Des Salmson à la chaîne ""

Pierre Georges Latécoère est né en 1883 à Bagnères-de-Bigorre; diplômé de l'Ecole centrale, il hérite, en 1905, à la mort de son père, l'ingénieur Gabriel Latécoère, d'une partie de la florissante entreprise familiale.

Engagé volontaire dans l'artillerie en 1914, il est affecté, deux ans plus tard, à Toulouse, à la direction de ses propres usines, qui sont reconverties dans la production d'obus de gros calibre. L'invasion allemande qui menace la région parisienne, oblige l'industrie aéronautique naissante à se replier vers le sud. Au début de 1917, Pierre Georges Latécoère propose donc à Louis Loucheur, ministre de l'Armement du gouvernement Clemenceau, de construire en série, dans son usine de Toulouse, des avions de guerre, dont le besoin se fait cruellement sentir. Alors que rien encore n'est prêt pour un tel travail, il accepte une commande de mille biplace de combat Salmson 2.A2.


En 1938, le ministère de l'air commande à la SIDAL (Société Industrielle d'Aviation Latécoère) un prototype d'hydravion transatlantique. La France doit rattraper son retard et ravir aux Etats-Unis, au Royaume-Unis et au Troisième Reich la première place au-dessus de l'Atlantique Nord. Cet appareil est alors ce que la firme a fait de plus grand et de plus moderne.

La guerre en ralentit la réalisation : le premier Latécoère 631 n'est terminé qu'en 1941, raflé par les Allemands et détruit par les Alliés. Le deuxième n'est construit qu'après la libération. 

Après le premier vol, avant la fin des essais et des hostilités, la fabrication en série est lancée. Par une opération de prestige, le ministre de l'Air Charles Tillon veut montrer le renouveau de la France. Le Laté 631 existe et paraît l'instrument idéal de cette opération.

Le F-BDRE à Biscarrosse, avec l'insigne de France-Hydro sur le nez.

Source: La revue le Fana de l'Aviation n°397 de décembre 2002.

Un des deux Salmson 2 réalisés en deux mois par Jean Salis et son équipe, à la Ferté-Alais pour le tournage de l'émission télévisée "L'équipage" de Joseph Kessel (Photo Frédéric Remise).

Source: Le livre de l'Aéroplane aux éditions Flammarion 4e trimestre 1979.


En 1930, quand Costes et Bellontes traversent l'Atlantique d'Est en Ouest, ce vol est encore un exploit sportif. Mais il pose les bases de l'établissement de lignes régulières. Depuis Paris, plusieurs routes commerciales sont possibles pour rallier New York. La plus directe passe au Sud de l'Irlande et de Terre-Neuve soit 5 840 km sans escale. Si l'on veut réduire la durée des parcours maritimes, il faut trouver des escales et voler plus au Nord dons allonger la distance totale : 6 000 km par l'Islande et le Groenland. Mais le mauvais temps peut perturber le trafic. Par le Sud, avec une escale aux Açores, la distance totale est de 6 590 km et le trajet maritime le plus long fait 3 970 km.

Dans les années tente, parce qu'on ne peut emporter une charge utile en plus de la charge d'essence indispensable à un vol de 6 000 km, les routes à escale, et surtout celle des Açores, sont les premières explorées. On n'imagine pas d'autre appareil qu'un hydravion. Dès 1930, l'aménagement d'une base aérienne aux Açores est envisagée par le gouvernement français; un accord est passé avec le gouvernement portugais. Cet accord est dénoncé en 1933 et, de toute façon, l'hydravion de transport postal et public transatlantique Laté 521, conçu en 1928, commandé en 1929, ne vole qu'en 1935. En 1935 et 1936, deux nouvelles missions étudient les conditions d'escale aux Açores mais la France n'en a plus le monopole.

Les premiers vols commerciaux sur l'Atlantique Nord sont réalisés en septembre et octobre 1936 entre les Açores et Port Washington (New York) par un Dornier 18 de la Lufthansa et sont suivis par ceux d'un Blohm und Voss Ha 139, en 1937. Anglais et Américains entrent en scène à cette époque. Le 5 juillet 1937, un hydravion britannique Short C des Imperial Airways part de Foynes (Irlande) et parvient à New York via Botwood (Terre-Neuve) et Montréal tandis qu'un Sikorsky S2B de la Pan Américan accomplit le trajet inverse. Le 20 et 21 juillet, le composite Short Mayo (un hydravion porteur Short S21 et un hydravion supérieur Short S20 qui s'en sépare et termine le voyage) transporte sans escale du courrier de Foyne à Montréal. En attendant les Short G conçus pour cette ligne et livrés en juin 1939, les Short C effectuent seize vole transatlantique avec ravitaillement en vol à partir du 5 avril 1939. Mais le Boeing 314 donne un avantage décisif à la Pan American. "Yanker Clipper", troisième appareil d'une série de six, part le 26 mars 1939 pour un vol d'exploration Baltimore-Southampton via Horta (les Açores), Lisbonne, Biscarrosse, Marseille-Marignane. 

Latécoère 521. Prédécesseur du Laté 631, il explore les lignes de L'Atlantique Nord (Musée de l'Air).

Source: La revue Histoire et Maquettisme n°4 de septembre 1989.

Un Dornier Do 18E suspendu à la grue du Ostmark. Ce type d'avion a été utilisé par la Deutsche Lufthansa sur ses lignes vers l'Amérique du Sud jusqu'à la déclaration de la guerre. 

Fabriqué par la société de construction navale Blohm und Voss, le Ha 139 pouvait franchir l'Atlantique Sud à partir de navires-dépôts. Le Ha 139A avait un rayon maximal de 5 900 km en vitesse de croisière.

On peut voir ici un Handley Page H.P.54 Harrow II, avions citerne à court rayon d'action en train de ravitailler un hydravion à coque Short S30 dans la région de Southampton en juillet 1939.

Source des trois photos: Avions de ligne aux éditions Princesse, 4e trimestre 1979. 

La seule pierre d'achoppement était l'Atlantique Nord, battu par le mauvais temps, qui posait de sérieux problèmes de navigation. De plus, un violent courant aérien soufflant vers l'Est rendait difficiles les vols vers l'Ouest. Bien que les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France aient réussi plusieurs vols expérimentaux ce furent les Américains qui inaugurèrent la première liaison régulière entre l'Amérique du Nord et l'Europe, avec l'hydravion de 42 tonnes, Boeing 314.

Source: Le Monde fascinant des Avions, aux éditions Gründ 1977.

En dépit de l'originalité de sa formule, le Short Mayo Composite ne connut guère de succès commercial.

Source:La revue Science et Vie, spécial Aviation, année 1975.


Le 20 mai débute une ligne aéropostale régulière Port Washington-Marseille via les Açores et le 24 juin, celle de Port Washington-Foynes. Enfin pour la première fois des passagers payant accomplissent le trajet New York-Marseille le 28 juin 1939. Le 8 juillet, le service passager est ouvert sur la ligne Nord.

Et la France ? En 1929 le ministère de l'Air a commandé le Latécoère 521, hydravion pouvant transporté vingt-quatre passagers couchés et dix hommes d'équipage.

Ce géant des airs (49,31 m d'envergure, 31,62 m de longueur pour un poids de 42 t) n'est lancé que le 9 février 1935. Le 8 décembre 1935, l'appareil part pour les Antilles via l'Atlantique Sud. Détruit par une tornade à Pensacola (Etats-Unis) le 13 janvier 1936, le Laté 521, bientôt rejoint par le 522, est reconstruit et modifié pour entamer une nouvelle carrière sur l'Atlantique Nord. En effet, en 1936, Air France signe un accord avec la Compagnie Générale Transatlantique : il s'agit d'étudier la possibilité d'établissement d'une ligne aérienne au-dessus de l'Atlantique Nord. En juin 1937 est créé la Compagnie Air France Transatlantique. Le 22 août 1938, les deux Laté commencent une série de six voyages expérimentaux Bisccarrose-New York. A cette occasion, le Laté 521 "Lieutenant de Vaisseau Paris" réussit, le 14 juillet 1939, le premier vol transatlantique sans escale d'un hydravion commercial. Mais ces vols se font sans charge marchande, les deux appareils sont de conception ancienne et Air France compte avant tout sur de nouveaux hydravions conçus en fonction de deux programmes "Atlantique Nord".

En mars 1936, un premier cahier des charges est élaboré par le STAE section hydravions pour un appareil de 30 à 40 tonnes pouvant couvrir 6 000 km par vent contraire de 60 km/h en transportant six hommes d'équipage, du courrier et jusqu'à vingt passagers couchés (chiffre en fait ramené à seize). En novembre, les projets sont examinés; en janvier 1937, le Potez Cams 161 ou SCAN (Socité de Construction Aéronautique du Nord) 161 est retenu. Mais il faut pouvoir faire beaucoup mieux que le Boeing 314 : plus loin, plus vite, avec plus de passagers. Un second programme, plus ambitieux et à plus long terme, est publié. Les charges sont les suivantes :

-- rayon d'action 6 000 km et vitesse commerciale de 350 km/h avec vent contraire de 60 km/h et vingt passagers dans des aménagements luxueux, 3 t de fret et huit hommes d'équipage (deux pilotes, un navigateur, deux mécaniciens, un radio, deux stewards) pour l’Atlantique Nord.

-- pour l'Atlantique Sud, mêmes performances avec vent de 50 km/h, quarante passagers et 10 t de fret.

-- décollage avec vagues de 1,50 m de creux.

-- décollage avec un moteur arrêté, ligne de vol maintenue avec deux moteurs arrêtés.

-- quatre à huit moteurs accessibles et réparables en vol.

-- altitude de vol 1 000 à 4 000 m.

-- deux hydravions monoplans hexamoteurs sont présentés. La SNCA du Sud-Est présente le SE 200. Les ingénieurs Moine et Jarry de la SILAT ont dessiné le Laté 631. Les plans sont acceptés et les commandes passées en janvier 1938.

Lorsqu'elle se lance dans le projet, la SILAT a une longue tradition d'hydravions. La firme créée en 1917 a produit son premier hydravion à coque, le Laté 21 en 1926; les années trente voient la production d'hydravions à coque de taille croissante (Laté 38, 300, 301, 302, 521, 522, 523) dont l'architecture est similaire : coque à deux redans, voilure sesquiplane sans dièdre ni flèche, nageoires de surface importante, haubanage par des mats obliques, empennages cruciformes, moteurs souvent placés en tandem. 

La formule a fait ses preuves et en 1937 le futur 631 est présenté par la presse comme une extrapolation du Laté 521, jusqu'alors le plus grand hydravion de la SILAT. De ce fait, les journaux spécialisés estiment que le projet Potez CAMS 161 est nettement plus moderne. En fait, si Moine s'appuie sur des travaux antérieurs, il s'inspire d'un appareil qui sort de la tradition et expérimente les nouveautés du 631, le quadrimoteur Laté 611 "Achernar" C'est un hydravion de patrouille maritime (rayon d'action 5 000 km) dont la conception répond à un programme de mai 1935. Voilure haute canti-lever, ballonnets d'équilibre à flot escamotables dans les nacelles externes, empennage en V à double dérive sont donc testés à partir de mars 1939 alors que la construction du 631 a commencé. 



Mise à l'eau devant l'usine de Sartrouville avant le premier vol, du Potez-CAMS 161, aux couleurs allemandes. Le mécanicien Lambert est debout dans le nez.
Source: La revue le Fana de l'Aviation n°233 d'avril 1989.

Prévu pour emporter sur l'Atlantique Sud, outre huit hommes d'équipage, vingt passagers disposant de cabines-couchettes, ou quarante passagers assis, le SE.200 (ici le n°03) n'a jamais connu de carrière commerciale. On notera que la coque comportait deux ponts, comme le futur Airbus A380, une solution qui paraissait toute naturelle à l'époque.

Source: Avions de légende, aux éditions Flammarion , Paris, 2002.

Conçu en tant qu'hydravion commercial, le Laté 38.0 donna naissance à une version militaire désignée Laté 38.1 et utilisée par l'Aéronavale.

Source: Fiche technique Edito-Service S.A., aux éditions Atlas, (Photo Musée de l'Air).

Le prototype Latécoère 300, baptisé Croix du Sud, à bord duquel Jean Mermoz disparaîtra au cours d'un vol transatlantique le 7 décembre 1936. Air France possédait alors deux appareils de série modifiés type 301. Le premier, Ville de Rio, effectuera ses dernières traversées en 1937; le second Ville de Santiago, sera pris en compte par l'Aéronavale.

Dérivé du Laté.300, l'hydravion d'exploration type 302 entra en service en 1936 dans l'Aéronavale. Troisième appareil de série livré à la Marine, le Mouneeyres fera carrière à la E.4 avant d'être réformé à Dakar en 1941 (photo Collection M. Borget).

Destiné à l'Atlantique Nord, le Latécoère 522 Ville de Saint-Pierre était une amélioration du 521, dont le fuselage avait été redessiné. La déclaration de guerre privera Air France de l'exploitation commerciale de cet appareil, qui rejoindra le groupe des hydravions d"exploration de la Marine (photo collection M. Borget).

Le Latécoère 611 "Achernar", hydravion quadrimoteur de reconnaissance lointaine, fera carrière à partir de 1942 aux côtés des Short "Sunderland" du Coastal Command. Il sera réformé après 1 600 h de vol (photo collection M. Borget).

Source des quatre photos, l'Encyclopédie Mach 1, volume 6, aux éditions Atlas , Paris, 1980.

Construit de manière spécifique pour le transport de passagers sur la ligne de l'Atlantique Nord , le laté 523 était un appareilde dimensions considérables.

Source: Fiche technique Edito-Service S.A., aux éditions Atlas (Photo Les Ailes).


La guerre puis l'invasion allemande retardent et enfin interrompent la construction du Laté 631-01 (premier prototype) à Toulouse-Montauban. Après l'armistice les travaux reprennent. A Wiesbaden la commission d'armistice a admis l'achèvement des trois appareil du programme Atlantique Nord. Si le gouvernement de Vichy veut être présent sur l'Atlantique quand les Allemands auront gagné, les Allemands eux se montrent très intéressés par tous les récents hydravions français à long rayon d'action. En 1941, les différents éléments du 631-01 sont achevés. Traditionnellement, le montage final et les essais des Latécoère se font à Biscarrosse. Mais l'hydro-base est désormais en zone occupée. L'étang de Berre est donc choisi. Le Laté 631 va côtoyer le SE 200 et le Potez-CAMS 161. Trois convois de deux camions assurent en trois mois le transport de Toulouse à Marignane. Monté, l'hydravion est en gris avec des panneaux d'aile et d'empennage et le nez orange. L'immatriculation F-BAHG est portée sur le noir sur le fuselage et sur la partie centrale des ailes. Les drapeaux de dérive et les bandes tricolores d'ailes et de fuselage sont réglementaires. Mais il n'y a pas de cocardes.

Le 11 novembre 1942, c'est l'opération "Anton" : à la suite du débarquement allié en Afrique du Nord, la Wehrmacht pénètre en zone sud. Les Allemands peuvent contrôler les essais des trois transatlantiques. Le 5 décembre 1942, le 631-01 est prêt pour son premier vol. Aux commandes Pierre Crespy, pilote de la SILAT. Les mécaniciens sont Sarrère, Elissalde et Hulin; le mécanicien chef est Décendit. Deux observateurs se sont joints à eux : l'ingénieur Moine et le capitaine de vaisseau Bonnot qui commandait le Laté 521 en 1935 et qui dirige la commission d'essais des hydravions. Décollage impeccable. A 150 m d'altitude et à 210 km/h une attache du compensateur de l'aileron droit se rompt. Les vibrations provoquent la rupture d'une des attaches de l'aileron lui-même. L'équipage craint la désintégration de l'appareil qui vibre tellement que les instruments ne sont plus lisibles. Moteurs réduits Crespy évite les cheminées des raffineries de Berre et amerrit devant la base de Marignane. Le 25 décembre 1942, le même équipage reprend place dans le F-BAHG réparé. Le premier vol en circuit fermé dure 1 h 47. Puis une dizaine d'heures de vol, permettent de tester la maniabilité, les gouvernes, le mécanisme de rétraction des ballonnets. Air France envoie alors des observateurs : le radio Bouchard, les mécaniciens Lemorvan, Coustaline et Cavailles bientôt arrêté pour fait de résistance. Mais les essais sont stoppés par les Allemands qui après quelques mois d'attente imposent leurs conditions.

En avril 1943, le Laté 631-01 reçoit l'immatriculation 63 + 11 et les marques de nationalité allemande. Les vols reprennent à partir du 22 juin 1943 dans la vallée du Rhône entre Berre et Valence avec interdiction de survoler le littoral. Chaque français est surveillé par un homologue allemand. Le 21 janvier 1944, après un essai de consommation d'une heure, le Latécoère se pose sur l'étang. L'équipage français est débarqué. Après le SE 200, le 631-01 est transféré à Friedrichshaffen sur le lac de Constance. Il y est détruit par un bombardement allié. Le Maréchal Pétain ne traversera donc l'Atlantique pour la plus grande gloire de Vichy. Ironie du sort, le Laté 631-02 est appelé à devenir le symbole de la renaissance de la France libérée.

Le premier prototype Laté 631, celui de 1942 que l'occupant allemand nous enleva.
Source: La revue l'Album de Fanatique de l'Aviation n°1 de mai 1969.

Le Laté 631 sur son chariot de roulage à Marignane (Musée des Hydravions). 

Au sec, sur son chariot, le F-BAHG après le relevage des ballonnets (Musée de l'Air).

Source des deux photos: La revue Histoire et Maquettisme n°4 de septembre 1989.


Alors que se déroule la tragi-comédie du 01, le 02 est à son tour construit à Toulouse. La coque seule nécessite 350 000 heures de travail. En mars 1943, il est presque achevé. Les Allemands s'intéressent à cet appareil mais son transfert vers une base d'essais est impossible et il encombre les bâtiments réquisitionnés pour le compte de la firme allemande Junker. Quand le personnel français propose de mettre l'hydravion inachevé à l'abri des bombardements alliés les autorités d'occupation acceptent. L'immense 631-02 peut ainsi être escamoté et dissimulé en pièces détachées dans toute la Haute-Garonne. En avril 1944, moteurs et hélices sont emmenés dans une bergerie de Saint-Bertrand-de-Comminges, partie dans la hall aux porc de Verfeuil. Les ailes gagnent elle aussi Saint-Bertrand-de-Comminges. Aucun local n'est assez grand pour la coque qui gagne la commune de Lavalette à 12 kilomètres au sud de Toulouse. Le fuselage est placé dans un chemin creux, recouvert d'un abri en bois et d'un camouflage de verdure.

Surveillé par la population et la résistance, le 02 est devenu "l'hydravion maquisard"". Le 18 août 1944, Toulouse est libéré. Fin mai 1944, la résistance avait fait sauter les hangards de montage et les ateliers de la rue de Périole. Ils sont vite l'objet de réparations et dès le 20 août on commence à rassembler les éléments du Latécoère. Un montage à blanc peut être réalisé en novembre. En décembre l'hydravion est transporté par la route à Biscarrosse; le convoi s'étire sur 400 m et progresse de 80 kilomètres par jour. Une soixantaine d'oubrier de Toulouse viennent aider le personnel de Biscarrosse pour le montage qui dure trois mois sous la direction de base Malpot.

Les moteurs Wright Cyclone R-2600 de 1600 ch de l'AIA de Bordeaux qui reconditionne les moteurs américains : avec cinquante moteurs usagés on en obtient vingt remis à neuf.Comme en 1939, aucun moteur français assez puissant n'est disponible. Ecartant la possibilité d(utiliser des Pratt et Whitney R-2800 plus puissants, la SILAT a reconduit le choix fait en mars 1939 quand il apparut que le développement des Gnome Rhône 18P initialement prévus prenait du retard.

Le 6 mars 1945, huit hommes prennent place dans le 631-02 immatriculé F-BANT, peint en gris et revêtu de bandes de fuselage et d'ailes noires et blanches : le pilote Crespy, le chef mécanicien Décendit, les mécaniciens Boy, Sarrère, Furbeyre, Le Morvan, Coustaline, et le radio Bouchard. Le premier vol est un succès. Dès lors, le ministre de l'Air Charles Tillon demande qu'un voyage à Dakar soit réalisé le plus rapidement possible. Le Latécoère 631 est alors le seul appareil français suffisamment moderne et au développement assez avancé pour pouvoir porter les couleurs françaises sur l'Atlantique. En plus des appareils numéros 3 et 4 en construction, sept nouveaux 631 sont commandés.    

Mise à l'eau du Laté 631-02 à Biscarrosse (Musée des Hydravions)

En 1945, la SILAT ne peut utiliser sa base des Hourtiquets mais la base Bréguet, elle aussi à Biscarrosse. Les miradors édifiés par les Allemands sont toujours visibles. Le capotage des moteurs n'a pas été peint (Musée des Hydravions).

La coque de F-BANT en cours de finition à Biscarrosse. Dans un premier temps les hublots seront masqués (Musée des Hydravions).

Source des trois photos: La revue Histoire et Maquettisme n°4 de septembre 1989. 

Le moteur américain classique fut le Wright Cyclone R-2600 qui disputa la première place dans le monde au moteur anglais Jupiter.

Le Pratt et Whitney R-2800 a fourni une puissance cumulée plus forte qu'aucun autre moteur pendant la Seconde Guerre mondiale, ainsi qu'à l'aviation civile d'après-guerre.

Source des deux photos: L'Encyclopédie de l'Aviation aux éditions CIL Beaux Livres 1980.


Le Latécoère 631 est un hydravion à coque à deux redans entièrement métallique, monoplan à aile haute cantilever, hexamoteur à empennage bidérive et à ballonnets escamotables. Sa longueur est de 43,46 m et sa hauteur maximale de 10,35 m. Avec une envergure de 57,43 m, la voilure a une surface de 350 m².

Le fuselage mesure 43,46 m de long pour 5,66 m de haut et 4,2 m de large au maître couple. Le tirant d'eau est de 1,41 m (1,78 m au poids de 75 t). Pour des raisons de transport, le fuselage comporte deux éléments qui sont assemblés par rivetage lors du montage définitif.

Des couples transversaux, des quilles et longerons longitudinaux en duralium recouverts d'un revêtement travaillant en tôles d'alliage léger (duralium, védal protectal...) constituent un ensemble dont l'élément résistant est la quille axiale rigide qui sépare longitudinalement le fond de coque en compartiments étanches. Les éléments du fuselage sont traités chimiquement contre la corrosion, les joints sont enduits de peinture au titane puis colmatés au bitumastic et au caoutchouc synthétique. La coque reçoit en plus une couche antiparasite à base d'arsenic et de mercure. L'étanchéité latérale est assurée jusqu'à 25 cm au-dessus du plancher inférieure. La forme de la coque satisfait à la fois l'aérodynamique et l'hydrodynamique. Les deux redans et leurs amortissements (angle derrière le premier cadran : 136°, derrière le second : 116°) n'accroissent pas de plus de 8 à 10 % la traînée qui affecterait un fuselage d'avion de forme semblable. Le Cx du fuselage est inférieur à 2 (4 pour le Laté 521), ce qui a permis d'écarter un système de carénage en vol des redans. La coque ne présente donc pas d'éperon important qui améliore le sillage et interdit aux vagues le contact avec l'arrière du fuselage, mais elle permet décollages et amerrissages par une mer hachée de creux de 1,5 m. Le décollage se fait en une minute. A l'intérieur, le fuselage comporte deux planchers.

Les postes d'équipage sont aménagés dans la partie supérieure. En avant du bord d'attaque de la voilure, le poste de pilotage forme un décrochement sur le dessus du fuselage. Le pare brise est constitué d'une série de vitres planes. Les vitres latérales peuvent coulisser. Tout à l'avant, le poste de pilotage double commande. Les instruments de vol sont répartis sur trois tableaux, les compensateurs des différentes gouvernes sont commandés au moyen de volants supportés par le pylone placé entre les sièges des pilotes. Le pylone porte aussi les commandes de phares, de ballonnets et de volets. Les manettes de gaz sont suspendues au plafond à droite du chef pilote. Les manches à balai (profondeur) sont surmontés d'un volant (gauchissement) déporté vers la droite pour le poste de gauche et inversement pour celui de droite. La direction se fait par des pédales. Le Latécoère 631 est équipé d'un pilote automatique Alkan. Le servomoteur électro-hydraulique de commande des gouvernes peut être mis hors circuit pour un pilotage direct. Derrière les pilotes, à gauche, le navigateur- commandant de bord dispose d'un pupitre avec radio-compas. Des instruments sont fixés sur la paroi bâbord. A droite le poste double des radios. L'installation radio comprend deux émetteurs récepteurs Jaeger, un émetteur de piste SIF, deux goniomètres, un radio sonde. Le compartiment suivant est celui des deux mécaniciens avec tous les instruments nécessaires au contrôle et à la commande des circuits de bord : refroidissement des moteurs, alimentation, commande des volets de courbure... De ce compartiment on peut accéder au couloir de visite des moteurs. Derrière encore, le poste de repos avec tables, fauteuils couchettes, penderie et compartiment de toilette. Les postes de manœuvre à flot, avec ancres et apparaux sont placés dans la pointe avant et dans la pointe arrière. On accède de l'étage supérieur à l'étage inférieur par une échelle.      

En haut coupe avant du Laté 631, en bas coupe arrière du Laté 631.

Source des deux photos: La revue Aviation Magazine International n°804 de juin 1981.

Poste du navigateur et installation radio derrière les pilotes (Musée de l'Air).

Poste des mécaniciens (SHAA).

Source des deux photos: La revue Histoire et Maquettisme n°4 de septembre 1989.


Toute la partie inférieure du Latécoère 631 est réservée aux passagers et au service de bord.

L'aménagement avait été primitivement prévu pour vingt passagers sur l'Atlantique Nord. En fait, c'est l'aménagement "quarante" passagers qui est seul reconnu. A. Mauny et J. Deport ont tout mis en oeuvre pour rendre agréable un voyage de 20 heures. L'entrée se fait sur le côté droit à l'arrière. Là, on trouve toilettes et lavabos, une grande cuisine avec fourneau alimenté au butagaz (?!), tables et sièges pour les repas du personnel, enfilade de six placards dont une glacière. En allant vers l'avant on emprunte une coursive qui traverse quatre compartiments de deux cabines. Dans chaque cabine fermée par un rideau, il y a deux sièges en vis-à-vis et transformables en deux couchettes. Suivent des lavabos puis quatre cabines de quatre passagers. Le bar, placé sous le poste d'équipage, peut accueillir douze personnes pour des "drinks" ou des repas. Après la glacière du bar et un lavabo à gauche, une soute à droite, sept cabines biplaces. Les sols sont recouverts de tapis de résine vénilique, les parois sont en bois (acajou, chêne, frêne) vernis et pyrolité. L'éclairage est dispensé par des hublots (deux grands et deux petits par cabine) et des appliques en plexiglas, chaque passager dispose d'une liseuse et d'un appel lumineux pour les deux stewards placés sous les ordres d'un commissaire. Le fuselage est alimenté en air pur par une canalisation placée dans chacune des parois latérales. L'air vicié est évacué par une canalisation parallèle. Les chaudières de chauffage sont alimenté par les gaz d'échappement des moteurs centraux. L'insonorisation est obtenue par projection d'amiante sur la coque et adjonction d'un voile de verre. Une étude menée en juin et septembre 1945 sur le 02 permet toutefois d'enregistrer des bruits à basse fréquence gênants mais acceptables et n'empêchant pas les conversations à voix basse. La totalité de l'installation pour passager ne pèse que 2,25 t. L'aménagement décrit est celui des trois appareils utilisés par Air France :F-BANU, F-BDRA, F-BDRC. Sur le F-BANT, l'installation est différente; d'avant en arrière : le bar, quatre compartiments avec coursive décentrée (quatre passagers d'un côté, deux de l'autre), commodités, quatre compartiments à deux cabines biplaces de luxe, cuisine. Les bagages peuvent être répartis dans trois soutes de fuselage : une soute avant inférieure accessible par deux portes s'ouvrant dans le plancher, une soute supérieure à l'avant du poste de pilotage accessible par une trappe externe et par l'intérieur, une soute à l'arrière du poste de repos accessible dans les mêmes conditions. Deux autres soutes sont aussi disponibles dans les ailes.   

Le bar. Tabourets et sièges en duralinox (SHAA).

L'intérieur d'une cabine (SHAA).

Placards à l'arrière du Latécoère 631 (SHAA).

Source des trois photos: La revue Histoire et Maquettisme n°4 de septembre 1989.


Au moment de sa conception, l'aile est l'une des plus grandes jamais construites : envergure, 57,43 m; profondeur à l'emplanture, 9,10 m; épaisseur à l'emplanture, 1,80 m. Pour réduire la traînée, Moine et Jarry ont abandonné les traditionnels mâts qui soutenaient la voilure des précédents Latécoères ou même celle des Potez 161 contemporain et ont adopté une aile cantilever : la structure interne seule doit supporter l'aile. La partie résistante de l'aile est un caisson, délimité par un longeron avant et un longeron arrière de section en double T qui encaissent les efforts de flexion. Ils sont réunis par des nervures perpendiculaires en tôle ajourée qui supportent des lisses nombreuses. Ce treillis de lisses supporte les tôles du revêtement travaillant qui forme le dernier élément du caisson de résistance aux torsions. A l'intérieur du caisson, un longeron moyen et des nervures en tôle pleine délimitent derrière les six moteurs, six réservoirs structuraux. Le bord de fuite et le bord d'attaque comportent des nervures qui se tiennent à l'aplomb des nervures de caisson.

L'âme des nervures du bord d'attaque est percée d'un trou qui permet le passage d'un couloir d'accès au moteur, aux soutes et aux commandes de vol (couloir de 60 cm sur 70 cm). Des portes de visite, démontables, permettent au sol, de réparer l'intérieur du caisson. Comme pour le fuselage, la structure et le revêtement sont en alliage léger, traité de la même manière. La forme de la voilure est trapézoïdale avec extrémités elliptiques. La flèche  du bord d'attaque est de 7°, celle du bord de fuite est similaire. Le dièdre est de 5°, l'angle de calage est de 3°.

La partie externe de chaque demi-aile porte un aileron à fente d'une surface de 16,8 m² (longueur, 11,83 m; profondeur maximale, 1,4). Un petit volet, situé dans la fente, à position variable en fonction du braquage de l'aileron assure un bon écoulement de l'air de ce dernier et améliore son efficacité. L'aileron est composé de deux parties de structure similaire : longeron tubulaire, nervures, revêtement en alliage léger. Dans le bord de fuite est logé un compensateur, commandé par le pilote. Les aileront se braquent en courbure pour augmenter l'hypersustentation, assurée par les volets de courbure à fente. D'une longueur de 13,03 m, d'une profondeur de 2,3 m, chaque volet est braqué à 17° au décollage et à 22° à l'atterrissage. D'une structure semblable (mais à deux longerons) à celle de l'aileron, il s'articule sur trois consoles fixées au longeron arrière et il est commandé par un moteur électrique ou une commande de secours à main.

Deuxième élément de la voilure, l'empennage est l'un des traits les plus caractéristiques de la silhouette du Laté 631. En forme de V, il est construit en un seul élément, les dérives n'étant que le prolongement du plan fixe qui à un dièdre de 16° 42. Sa structure est classique : bilongeron en alliage léger et revêtement en védal. L'incidence de l'empennage est réglable en vol. Les stabilisateurs, de forme rectangulaire (longueur, 6,31 m; profondeur, 1,99 m; surface, 11,4 m²), dont un compensateur dans le bord d'attaque, de même que les gouvernails (hauteur, 3,5 m; profondeur, 2,82 m; surface, 8,5 m². Toutes les gouvernes ont une structure mono-longeron à revêtement métallique.   

Volet de courbure du F-BANT. La Rocha 1945. (SHAA).

Source: La revue Histoire et Maquettisme n°5 d'octobre-novembre 1989.


Le premier hydravion Latécoère à coque était équipé de moteurs en tandem de même que le fameux "Croix du Sud". Sur le 'Lieutenant de Vaisseau Paris", était mixte : quatre moteurs en deux tandem, deux moteurs tractifs. Le Latécoère 631 aligne ses moteurs sur le bord d'attaque. Parce qu'en 1939, , il n'y a pas d'unité motrice assez puissante pour équiper un mastodonte de 60 t en quadrimoteur, six groupes motopropulseurs ont été installés. A l'origine, les moteurs sont des Wright Cyclone à quatorze cylindres en deux étoiles refroidis par air avec compresseur à deux étages et réducteur : type GR2600- A5B pour les moteurs tournant à droite et RGR2600-A5B pour ceux tournant à gauche. Au décollage, ils délivrent une puissance de 1 622 ch à 2 400 tours/ minute; la puissance est de 1 369 ch à 2 300 tours/minute aux altitudes inférieures à 1 500 m et 1 296 ch à 2 300 tours/minute au-delà de 2 000 m. Chaque moteur entraîne une hélice Ratier métallique tripale de 4,3 m de diamètre. Le pas variable des hélices électriquement commandé, permet la réversibilité et la mise en drapeau. Les moteurs sont fixés sur un bâti en tube d'acier soudé et une console fixée sur la cloison pare feu du fuseau. Dans la cloison, une porte permet d'accéder aux moteurs en vol . Moteurs et bâtis sont carénés par des capotages en tôle d'alliage léger. Quatre panneaux ouvrant permettent d'accéder aux organes. Douze volets de bord de fuite du capot permettent de régler le refroidissement. Un collecteur recueille les gaz d'échappement évacués par deux sorties débouchant à la partie inférieure du capot, derrière les volets. Les fuseaux moteurs sont fixés sur le longeron avant et encastrés dans le bord d'attaque; ils comprennent un compartiment étanche servant de réservoir d'huile (contenance 453 l). Le carburant est contenu dans six réservoirs d'aile (28 350 l) et de fuselage (22 250 l) reliés par un circuit d'intercommunication : seuls les réservoirs d'aile alimentent directement les moteurs et les réservoirs de fuselage sont transvasés dans les précédents au fur et à mesure des besoins.

Les fuseaux moteurs externes abritent les ballonnets en position relevée. D'un volume de 5,63 m² (longueur, 7,435 m; largeur maximale, 1,41 m; hauteur, 1,04 m), ils sont constitués de cinq compartiments étanches, accessibles par des portes de visite. La mâture est fixée sur le ballonnet en trois points (deux latéraux à l'avant et un central à l'arrière) et se replie électriquement (commande de secours manuelle). Quatre amortisseurs, un montage sur cadrans à rotules absorbent le choc de l'amerrissage et les efforts latéraux et longitudinaux.

Une centrale de bord a été installée pour fournir à flot l'énergie électrique et pneumatique nécessaire à la mise en oeuvre de l'hydravion et, en vol, un appoint d'énergie permettant l'utilisation des servitudes de bord. Cette centrale est actionnée par un moteur de 38 ch et comporte quatre génératrices de 1 800 watts, deux pompes à vide et deux compresseurs. S'y ajoutent un compresseur monté sur le moteur central droit et une pompe à vide sur chaque moteur central. Une fois l'assemblage final réalisé, seuls demeurent facilement démontables pour l'entretien courant et le remplacement des éléments avariés : les groupes motopropulseurs, le bord de fuite de l'aile, les gouvernes, l'empennage, les ballonnets. Ces éléments sont construits sur bâtit dits d'interchangeabilité, assurant un positionnement exact de leurs différents points de fixation, évitant l'usinage et facilitant les opérations d'entretien.

Trappe d'accès au moteur, F-BANT. Amérique du Sud (Droit réservés).

Montage des moteurs à Biscarrosse, 1944 (Musée des Hydravions).

Source des deux photos: La revue Histoire et Maquettisme n°5 de octobre-novembre 1989.


Un devis de poids donne 32 400 kg à vide. A charge, le F-BANT passe à 71 500 kg et on peut pousser jusqu'à 72 voire 73 000 kg. A partir du cinquième appareil, on atteint 75 t avec des moteurs plus puissants. Au poids total de 71,5 t, avec moteurs de 1 620 ch, la vitesse maximale au sol est de 360 km/h et de 395 km/h à 1 800 m; la vitesse de croisière à 500 m est de 290 à 300 km/h. A vide le Laté 631 décolle en 66 secondes à 155 km/h et amerrit à 120-130 km/h. A 45 t, le vol est possible avec trois moteurs stoppés du même bord. A 72 t, il peut encore voler avec deux moteurs arrêtés. La sécurité paraît assurée pour les vols transatlantiques.

Le 25 juillet 1945 prend fin la première série d'essais du F-BANT : vingt-cinq vols de mises au point, totalisant quatre-vingt-deux heures, ont été réalisés. Jean Prévost, pilote d'essai chargé d'analyser les possibilités du Laté 631 pour une éventuelle utilisation par la Marine, a bien fauché un ballonnet, lors d'un hydroplanage, en faisant un virage à 90 km/h. Mais le bilan est satisfaisant. Charles Tillon décide donc, malgré les conseils de prudence du lieutenant de vaisseau Thabaud du CEV, un voyage à Dakar. Le 31 juillet, il est à bord du grand hydravion avec de nombreuses personnalités. L'équipage "Latécoère" est aux commandes (Prévost, Décendit, Boy, Sarrère, Furbeyre, Bouchard). Il y a également à bord des navigants d'Air France : les pilotes Chatel, Moulinié, Casselari, Delaunay, les mécaniciens Le Morvan, Coustaline, Cavailles, le navigateur Comet, les radios Couilbeau, Nemes. En treize heures, à 310 km/h, le Laté 631-02 parvient à Dakar. Quatre jours sont nécessaire pour une remise en état de l'appareil parti inachevé.

Le 4 août, retour triomphal à Biscarrosse en douze heures quarante minutes. Le 16 septembre, le F-BANT est baptisé "Lionel de Marmier (le colonel de Marnier , disparu en service aérien, est le premier officier de haut rang ayant rejoint le général de Gaulle à Londres). Le 6 octobre, nouveau vol de prestige : le commandant Chatel survole Paris. Il est décidé de faire un voyage vers Buenos Aires via Rio et Montevideo. Du 7 au 22 octobre, les aménagements intérieurs sont mis en place. Le 22, aller retour à Lisbonne. Le grand jour est fixé au 23.

Peu de temps avant le départ, l'hydravion heurte un corps mort d'amarrage de bouée. La coque est déchirée. On annonce plusieurs semaines de travaux. La presse se déchaîne : "... Il est permis de se demander jusqu'à quel point l'accident stupide qui retarde l'entrée en lice de notre pays sur les routes aériennes transatlantiques n'est que l'effet de hasard... Cette nouvelle négligence venant couronner une longue série de faits qui, tous, témoignent de l'incurie de la société Latécoère, M. Charles Tillon a prononcé la réquisition de la base de Biscarrosse et de l'usine Latécoère de Toulouse... Depuis des mois, le travail sur la série des Laté 631 traînait en longueur...". Il est vrai que le Latécoère n'a pas fait appel de façon intensive à des procédés de fabrication relevant de la grande ou de la moyenne série; la productionen est ralentie. Mais des outillages coûteux ne pouvaient s'amortir sur de petites séries comme celles que l'on pouvait envisager. De plus, tout en achevant le Laté 631-02 et entamant la construction des 03 et 04, la SILAT a dû remettre en état l'usine de Toulouse et la base des Hourtiquets. Quant à l'accident lors de l'hydroplanage, il n'a rien d'un sabotage. Quoiqu'il en soit, prenant prétexte de "méthodes surannées", le ministère de l'Air, qui veut faire vite, répartit la production sur Toulouse (03, 04, partie du 08,10,11) et les usines de la SNCASO à Saint-Nazaire (n°5, 06, montage du 08) et du Havre (07, partie du 08, 09). Le personnel chargé de piloter l'appareil en Amérique du Sud est militarisé. La réquisition de la SILAT prend fin en 1948.

Le 26 octobre 1945 à 9 h 20', F-BANT décolle du plan d'eau de Biscarrosse. L'équipage Air France est au complet, celui de Latécoère est invité; soixante-cinq passagers ont pris place dans l'appareil : officiels, professionnels, journalistes. Dans l'après-midi, ils font une escale d'une heure à Port-Etienne, en Mauritanie. A 18 h 00, l'hydravion entame la traversée de l'Atlantique. Le 27 à 6 h 00, il survole Recife; à 13 h 00, il se pose à l'hydrobase de Rio. L’accueil est enthousiaste, Charles Tillon envoie un télégramme de félicitations. La deuxième étape du voyage promotionnel est l'Uruguay. Le 31 octobre 1945, le Lionel de Marmier décolle de Rio avec soixante-quinze passagers.

Décollage du 631-02. L'hydravion est sur son deuxième redan (Musée de l'Air).

Accident de La Rocha. Moteur central gauche arraché, fuselage déchiré par les pales (SHAA).

Source des deux photos: La revue Histoire et Maquettisme n°5 d'octobre-novembre 1989.

Magnifique machine, le Latécoère 631 a été marqué par la malchance. On voit ici le n°2, baptisé Lionel-de-Marmier, qui a effectué son premier vol le 6 mars 1945.

Source: Avions de Légende aux édition Flammarion, Paris, 2002.


Son poids atteint 76 t, soit 3,5 t de plus que le maximum théorique. Un peu plus de six heures après le départ, l'hydravion descend à 1 500 m et passe le cap Santa Maria. Une détonation, un énorme choc. Le moteur central gauche, arraché de son bâti, disparaît. Une pale d'hélice pénètre dans le poste d'équipage, au niveau de la table de navigation autour de laquelle se tiennent Comet, Chatel, Décendit. Elle coupe les câbles de servo-commande des gouvernes mais épargne les câbles de commande manuelle. Une seconde pale éventre la cabine située sous le poste de pilotage, tue le journaliste brésilien Texeira, sectionne au-dessus des genoux les jambes du cinéaste reporter français Ancel. La troisième pale heurte le moteur moyen gauche qui perd son capot et s’affaisse pour prendre avec un angle de 70°. Son hélice tourne encore. L'avion secoué de fortes vibrations pique en virant à gauche. Les moteurs de droite sont réduits. Moulinié et Casselari rétablissent l'appareil en palier. Alors que les radios Bouchard et Couilbeau lancent des appels de détresse, le commandant Chatel remplace Moulinié. L'appareil est à 350 m d'altitude, le plan d'eau le plus proche à dix kilomètres. A deux kilomètres de la lagune de Rocha, les ballonnets sortent sans problème. Sans utiliser les volets, Chatel amerrit sur la lagune dont on aperçoit le fond vaseux. Les ancres sont mouillées, les passagers sont évacués en barque puis en car. Une heure plus tard, Ancel est embarqué dans un Grumman de l'aéronavale uruguayenne. Il meurt à Montevideo. Le lendemain, les directives sont les suivantes : l'appareil est rendu à la SILAT qui envoie le contre-maître Marty, son chef de travaux le plus expérimenté : l'équipage Latécoère dirigé par Prévost et aidé de Casselari, Delaunay, Bouchard, Le Morvan, Coustaline et Cavailles doit le réparer et le récupérer. Le reste de l'équipage Air France (Chatel, Moulinié, Delaunay, Nemes Couilbeau et Comet) part aux Etats-Unis pour convoyer en France un DC-4 : un avion quadrimoteur américain !

A Rocha en douze jours, le moteur moyen droit est installé à la place du central gauche, des carénages en contreplaqué remplacent les moteurs manquants. Allégé de 4 t, le Lionel de Marmer est prêt. Le 13 novembre à 9 h 30, l'autorisation parisienne de décollage tarde. Prévost décide de partir quand même : décollage à 10 h 35, vol à 190 km/h, arrivée à Montevideo à 11 h 15. Dix minutes plus tard le vent souffle à 90 km/h. La réparation définitive débute le lendemain avec l'aide de mécanos de la Varig. Elle se termine le 16 février 1946 et le Lionel de Marmier reprend alors sa tournée de propagande : accueil chaleureux mais succès commercial nul. Comme les décollages deviennent scabreux, il faut gratter la coque qui s'est couverte de bernicles. Le 6 mars, le Maté 631-02 est enfin de retour à Biscarrosse, après des escales à Rio, Bahia, Dakar, Port-Etienne, pour ménager l'appareil qui est mis au hangar pour près d'un an. Il sera rénové, transformé en cargo en 1954, mais ne sera jamais exploité commercialement. Personne n'a songé à remercier l'équipe de récupération.

Au cours du premier semestre 1946, le 631-03 est monté à Biscarrosse et effectue son premier vol le 15 juin. Les moyeux d'hélice en alliage léger, responsables de l'accident du F-BANT, ont été remplacés par des moyeux en acier. Immatriculé F-BANU, baptisé Guillaumet, il est remis à Air France au mois de mai 1947. Il est suivi, le 25 juillet 1947, par le 631-04 F-BDRA. Il n'est plus question pour eux de traverser l'Atlantique Nord, tâche pour laquelle le Latécoère a été conçu. Hormis la projection d'antigel sur les hélices, aucun système de dégivrage n'a été installé. Ce système indispensable pourrait être ajouté mais, bien qu'il puisse traverser l'Atlantique Nord d'une traite, le Laté 631 n'est plus concurrentiel. Même si pendant la guerre BOAC ET American Export Airlines ont installé des hydravions Boeing 314 et Sikorsky VS44, l'essentiel des vols transatlantiques a été effectué par des avions : Liberators du North Atlantic Ferry Return (retour aux Etats-Unis de pilotes américains ayant convoyé en Angleterre des avions américains), Boeing Stratoliners, Douglas C-54 (version militaire du DC-4). Dès octobre 1945, un DC4 d'American Overseas Airways a relié New York à Hurn en 23 h 48 mn à 352 km/h de vitesse de croisière. Le DC4 est d'ailleurs vite surclassé : le 4 février 1946, la Pan American met en service le Lockheed Constellation entre New York et Londres. La liaison vers Paris est établie le même mois. Vitesse de croisière 480 km/h, 160 km/h plus vite que le Laté 631 pénalisé de plus par un énorme handicap : DC-4 et Constellation relient directement New York et Paris, le Latécoère ne peut utiliser que l'hydrobase de Biscarrosse. Pour joindre Paris, il faut prendre le car pour Bordeaux puis le train ou l'avion. Même problème sur l'Atlantique Sud. La British South American Airways inaugure le 15 mars 1946 une ligne Londres-Amérique du Sud avec des Avro Lancastrians puis des Avro York, service concurrencé dès le 1er mai 1946 par les Constellations de la Panair do Brasil.

Comme les autres compagnie, Air France se convertit à l'avion gros porteur à long rayon d'action. Le 23 juin 1946, un DC4 rétablit la liaison au-dessus de l'Atlantique Sud et le lendemain un appareil du même type reconnaît le parcours en 18 h 45 de vol, avec deux escales à Gander et Shannon qui va devenir la route des transatlantiques. Dès 1947, Air France achète des Constellations. Comme l'Angleterre, la France va utiliser ses hydravions pour la desserte de luxe de ses possessions d'outremer.    

Le F-FDRA dans l'attente de ses hublots, à Biscarrosse.

Source: La revue le Fana de l'Aviation n°397 de décembre 2002.

F-BANU à la darse (Musée des Hydravions).

F-FDRA à Southampton, le 15 juillet 1947 (Musée de l'Air).

Source des deux photos: La revue Histoire et Maquettisme n°5 d'octobre-novembre 1989.


Le vendredi 25 juillet 1947, avec cinquante-sept passagers dont Max Hymans, secrétaire général à l'Aviation Civile, F-BANU, piloté par Leclaire et Kersual, décolle à 3 h 15. Après avoir contourné l'Espagne, dont le survol est interdit, et coupé au-dessus du Portugal, l'hydravion amerrit à Port-Etienne à 13 h 55.

Des vedettes viennent chercher les passagers; par manque de matériel (il n'y a pas de motopompe pour le ravitaillement en carburant) l'escale dure quatre heures. A  18 H 37 nouvel envol pour Fort de France où le Laté 631 amerrit à 10 h 12, le dimanche matin. En trente-et-une heures et tente-sept minutes dont vingt-six heures et sept minutes de vol, F-BANU a relié la France à la Martinique. Le voyage de retour s'effectue avec des passagers payants : départ le mercredi à 14 h 13, escale à Port-Etienne le jeudi de 7 h 28 à 10 h 53, arrivée à Biscarrosse le jeudi à 21 h 20. Durée totale trente-et-une heures et quarante-quatre minutes. La lignes des Antilles est vite lancée. Après avoir fait un vol d'entraînement sur Southampton, le 15 juillet 1947, le F-FDRA prend son service le 26 juillet. Deux fois par mois, par rotation de deux appareils, la France est reliée aux Antilles. Depuis Fort de France, des Catalinas assurent des relais vers les autres îles des Caraïbes (Guadeloupe, Antigua, Saint Martin, Sainr-Dominique, Haïti, Porto-Rico, Curaçao) et l'Amérique du Sud (Maracaïbo au Venezuela et Barranquilla en Colombie). L'aller-retour coûte  117 000 francs, la moitié du revenu annuel de 40 % des Français.

Une première catastrophe frappe les Laté 631 mais ne remet pas en cause la ligne. Le samedi 21 février 1948 à 13 h 00, le Laté 631-07 F-BDRD, fabriqué et monté au Havre décolle un temps "volable". Dix-neuf personnes sont à bord dont M. Gourju directeur de l'usine du Havre et le pilote Creton. A 120 km à l'ouest du Havre, vers 14 h 00, l'hydravion disparaît dans une tempête de neige. Aucun message radio n'a été lancé. Des épaves sont retrouvés sur une plage du Cotentin à Ravenoville. Hormis des raisons climatiques, aucune cause précise n'est invoquée. Deux mois plus tard, le n°6 F-BDRC est réceptionné par Air France. Il est équipé de moteur Wright R2600-20 14BB plus puissants. Ces moteurs développent 1 900 ch à 2 800 tours/mn au décollage et permettent une meilleure vitesse ascensionnelle, une vitesse de croisière de 320 km/h à 3 000 m, une vitesse maximale de 455 km/h à 3 650 m au poids de 72 t. Du 12 au 14 juin 1948, il effectue un vol de prestige sur le lac Léman avec escale à Genève.

Ce vol n'est pas suivi d'une exploitation commerciale. Pourtant peu de temps après Aquila Airways ouvre sa "ligne des millionnaires" avec quatre hydravions Short Solent qui relient Montreux à Madère et aux Canaries. Avant la fin juin F-BDRC assure le roulement sur la ligne des Antilles. En un an, depuis juillet 1947, deux mille passagers ont été transportés en vingt-trois vols. Dans l'après-midi du 31 juillet, le F-BDRC décolle de Fort de France avec quarante-six passagers et un équipage de douze hommes. Le pilote Kersual compte 12 500 heures de vol, les mécanos Le Morvan et Coustaline sont des vieux du 631. Le dimanche 1er août à 1 h 00 un message radio indique que tout va bien. Mais l'appareil n'arrive pas à Port-Etienne. Un dispositif de secours et de recherche est déclenché : un Laté 631,  et un Constellation d'Air France, des hydravions et des B-17 de secours en mer américains survolent la zone, des navires, dont la frégate météorologique "Le Verrier", explorent la mer en tous sens. Un B-17 ne peut qu'apercevoir des sièges. Aucune raison météorologique ne peut être retenue. Seul un incident mécanique peut avoir provoqué la catastrophe. On pense évidemment à une rupture d'hélice. On ne veut pas mettre en cause l'avion, mais la ligne est suspendue et Air France renonce à exploiter les Laté 631.

L'interdiction des vols des Laté 631 laisse inutilisé un énorme potentiel. L'hydrobase des Hourtiquets a été reconstruite de 1945 à 1947 et comprend un hôtel, un aérogare, deux hangars métalliques pouvant contenir chacun un Laté 631, quatre bâtiments annexes. Depuis l'accident les F-BANU, F-BDRA, F-BANT y sont immobilisés. Ils sont bientôt rejoints par le n°5 F-BDRB, le n°8 F-BDRE et le n°9 . Les 10 et 11 sont en chantier à Toulouse. Or un examen n'a pas permis de déceler de cause déterminante de l'accident. Les travaux ont, avant tout, porté sur l'accouplement hélice française et moteur américain. Moteurs, réducteurs, hélices sont démontés, contrôlés. Un banc d'essai ne permet pas de constater l'usure prématurée d'un de ces éléments. Des études en vol sont nécessaires mais une nouvelle utilisation commerciale est envisageable. Le transport des passagers est exclu, le public n'a plus confiance. Après l'Armée en 1947, la Marine étudie mais ne retient pas la possibilité d'un usage militaire du Latécoère. Seule possibilité, le transport de fret civil.     

Le n°5 F-BDRB, l'élégance de l'avion est indiscutable.

Source: La revue l'Album du Fanatique de l'Aviation n°1 de mai 1969.

Le n°8 F-BDRE au mouillage. Les masses d'équilibrage des ailerons sont bien visibles (Musée de l'Air).

Source: La revue Histoire et Maquettisme n°5 d'octobre-novembre 1989.


Le marché n°5322/49 prévoit la transformation en cargo des hydravions n°3 F-BANU et n°8 F-BDRE. Les modifications sont communes aux deux appareils. La partie inférieure de la coque, auparavant réservée à l'aménagement passager, est transformée en soute à fret. L'avant est occupé par une première soute de 18 m3 dans le plancher de laquelle est percée une trappe donnant accès à une soute inférieure de 4 m3. La soute principale de 108,5 m3 s'étend jusqu'au droit du second redan. En arrière, on trouve une soute de 22 m3 et une soute supérieure de 17 m3. Des treillis métalliques fixes, des panneaux en sangles avec poteaux de fixation amovibles, délimitent les compartiments de fret. Des filets de chanvre maintiennent les colis. Ils sont fixés sur les parois par des anneaux. Le fret est disposé de part et d'autre de la coursive où courent des rails sur lesquels un wagonnet (1,9 m x 0,65 m) peut déplacer une charge maximum d'une tonne. Le chargement est embarqué par une ouverture de 2,8 m x 1,58 m pratiquée à babord, en arrière de l'aile. Le bord inférieur de l'ouverture se situe à 45 cm au-dessus de la ligne de flottaison. L'ouverture est obturée par une trappe s'ouvrant vers l'extérieur, de bas en haut; ouverte, la trappe est maintenue par deux mâts. Deux rails sont fixés à l'intérieur de la trappe et se prolongent sous le plafond de la soute. Deux palans transbordeurs, supportant les chargements, se déplacent sur ces chemins de roulement. La cuisine a été conservée; avec les installations du poste d'équipage et l'emport de 600 kg de pièces de rechange, le Laté 631 doit pouvoir s'affranchir des déficiences des escales africaines.

En effet les cargos sont destinés à la SEMAF (Société d'Exploitation du Matériel Français), société fondée en mars 1949 pour exploité les Laté 631 entre la France et l'Afrique. Le directeur d'exploitation est Bertrand Souville. Les appareils sont fournis par l'Etat, moyennant un loyer symbolique. Air France prête une partie de son personnel : les pilotes Leclaire, Heuzé, Boissard, les navigateurs Lelandais, Salvatori, les radios Bouchard, Desroses, Le Pêcheur, Cattelin, les mécaniciens Faugère, Chasseigne, Cavailles et une équipe de personnel au sol. Premier livré, le F-BDRE commence ses vols d'essais en juillet 1949. Le parcours est Biscarrosse- Douala avec escales à Port-Etienne, Abidjan et éventuellement Dakar. Les résultats commerciaux sont peu probants; mais l'appareil donne toute satisfaction.

La 1er janvier cependant l'hydravion au poids de 72 t, est malmené par des creux de 1 m pendant l'hydroplanage. La partie avant de la coque est déformée. A l'hydrobase tout est réparé et renforcé. Le dernier vola lieu le 18 mars 1950 : vol direct Abidjan-Biscarrosse en 14 h 50 avec 18 t de café comme fret. Ce même mois, le deuxième Laté modifié doit être remis à la SEMAF.

Le 28 mars au matin, un dernier essai constructeur a lieu. A 15 h 05, F-BANU décolle pour un vol d'essai client entre le Verdon et le Pays Basque. Six hommes de la SEMAF sont aux commandes : le pilote Boissard, le radio Lepêcheur, les mécanos Faugère, Dumonteil, Coulé, l'ingénieur Rensory chef du personnel au sol. Les accompagnent l'ingénieur Malpot, chef de l'hydrobase, et l'adjudant Grezel de la DTI. Quatre techniciens du CEMH (Boucherit, Renault, Martin, Prothin) sont chargés de mesurer les vibrations de l'hélice suivant le système Rotol. Les mesures se font en donnant aux groupes motopropulseurs, en palier et en montée, des régimes successifs de 50 en 50 tours à la cadence d'un régime toutes les deux minutes et permettent de connaître les efforts dans les pales d'hélice. 15 h 43, Lepêcheur appelle le gégénie de Biscarrosse : "arrivée prévue Biscarrosse 16 h GMT. Mise à la darse immédiatement". A 15 h 55 contrordre : "Annule précédent message, continuons vol. Arrivée prévue : 17 h GMT". A 16 h 40, le contrôle de la base reçoit un premier témoignage. Volant à basse altitude au-dessus du Cap Ferret avec un moteur arrêté, le Laté 631 a perdu "un élément important non identifié", est parti en vrille et, après un quart de tour, a percuté la mer. Il n'y a pas de survivant.

On croît à une rupture du moteur extérieur gauche à cause de vibrations dues au maintien prolongé d'un régime anormal de fonctionnement, à une défaillance au moteur, à la perte d'un appareil de mesures collé sur l'une des pâles d'hélice alors déséquilibrée. Il faut savoir coûte que coûte ce qui est arrivé. Dès le lendemain de la catastrophe, on s'efforce de recueillir corps et épaves. Le F-BANU ne repose que par 28 m de fonds mais la mer est agitée et l'eau opaque : dans le meilleur des cas la visibilité ne dépasse 3 m. Du 14 au 19 mai le repêchage commence : cellule, fragments d'aile et les six moteurs qui sont en état de marche et en peuvent avoir provoqué la chute de l'appareil. L'aileron gauche, attaches cassées manque.

Le bureau d'étude de la SILAT est perplexe; cela suffit pour qu'un élu local parle de sabotage.

Le Laté 631 sont interdits de vol, le SEMAF est dissoute, la Marine demande la jouissance de l'hydrobase qui sera fermée à la navigation aérienne le 1er janvier 1951.  

Le F-BANU sur l'étang de Biscarrosse, entouré de pins maritimes.

Source: La revue le Fana de l'aviation n°397 de décembre 2002.


L'ingénieur Moine, concepteur de l'appareil, sort de l'impasse le 15 août 1950 quand un chalutier ramène dans ses filets l'aileron manquant. Il porte sur son revêtement la trace de chocs avec l'extrados d'aile et la chape d'embout de sa commande centrale a disparu. Une aile extrême du 04 est testée en soufflerie à Chalais Meudon, la chape est soumise à des efforts de traction, moteurs et hélices sont de nouveau étudiés. Quatre vices apparaissent. En vol, l'aileron est soumis à des battements qui le braquent vers le haut sans que le pilote ressente au manche ses battements. La rupture est fatale parce que les chapes en duralumin sont trop fragiles, l'une de celle du 08 présente une crique.

Le problème est accru par la résonance des vibrations de l'aile et des moteurs qui ont la même fréquence. Enfin le plan de rotation des hélices présente un angle cabreur avec la trajectoire, ce qui fatigue les pales et provoque des vibrations. En conséquence le F-BDRE est modifié. L'axe de traction des hélices est abaissé de 5°; la fréquence de rotation des hélices est modifiée par l'adoption d'un réducteur de rapport 9:16 au lieu de 7:16; les aileront à structure modifiée reçoivent des masses d'équilibrages extérieures, les chapes d'embout sont désormais en acier.

Puisque le Laté est "guéri", son utilisation commeriale peut reprendre. En 1951, l'Etat est toujours propriétaire des 02, 04, 05, 08, 09 sans compter les 10 et 11 en voie d'achèvement. Fion 1951, une nouvelle société, France Hydro est fondée pour exploiter les grands hydravions. Parmi les dirigeants, on retrouve Bertrand Souville; le président directeur général est le colonel Gracy. Début 1952, France Hydro reprend les installations de la SEMAF mais doit recruter son personnel. Sous la direction de l'ingénieur de l'air Chautemps, le premier trimestre est occupé à la mise au point du F-BDRE. Le F-BDRB doit servir à l'entraînement des pilotes, le F-BANT est en réserve. Les trois premiers vols probatoires sont affrétés par l'Etat qui veut renforcer les liaisons aériennes avec le corps expéditionnaire d'Indochine. Un unique Douglas C-54 des C-47 et même des AACI (Junkers 52) militaires, ne suffisent pas à doubler les liaisons civiles régulières. Or le Laté 631 peut transporter des troupes et du matériel.

Le premier vol a lieu du 27 mars au 16 avril 1952. L'équipage comprend trois pilotes ( Souville, Demouvaux l'un des cofondateurs de France Hydro, Sytchef), deux radios (Macagno, Doriano), trois mécaniciens (Cléret, Maire, Le Calvez), le navigateur Almin et le mécanicien Cavailles, détaché d'Air France pour l'occasion. En quatre-vingt-quinze heures de vol, avec escales à Birezte (base aéronavale française), Bahrein (base aéronavale anglaise), Trincomalee (base anglaise), le F-BDRE parcourt les 23 000 km de l'aller-retour Biscarrosse-Saïgon. A l'aller, deux incidents techniques. A Bahrein, il faut réparer une crique dans un pot d'échappement. Deux moteurs électriques d'hélice sont tombés en panne, empêchant la mise en drapeau ou le changement de pas. Le premier est changé à l'escale de Trincomalee, la panne du second occasionne un demi-tour en vol et une interruption de l'étape Trincomalee- Saïgon. Cing jours de révision sont nécessaires lors du mouillage dans le delta du Mékong. Au retour à Bizerte l'appareil s’accommode fort bien d'un vent de 80 km/h et de creux de 1 m.

Surtout, pas de problèmes de vibration. Quinze tonnes ont été transportées à l'aller et quatorze au retour. Révisé, le 631-08 est prêt, le 15 mai, à reprendre ses vols. Les deux vols suivants avec 15 t de fret ont lieu en juillet et en octobre. Quatre jours pour l'aller. Départ le matin de Biscarrosse pour Bizerte, départ de Bizerte le soir; quatorze heures de vol dont huit de nuit pour arriver à Bahrein; départ le même soir pour Trincomalee; le quatrième matin dernier vol vers Cat Laï, base aéronavale de Saïgon. Là, le fret est transbordé sur des chalands. Le retour prend trois jours : décollage de Saïgon le matin, arrivée à Trincomalee dans l'après midi, pour l'escale de nuit; le lendemain, Trincomalee-Bahrein; le troisième jour, Bahrein-Bizerte-Biscarrosse (arrivée en fin d'après-midi) Lors du troisième vol, il a fallu réparer le moteur 3 au-dessus du Liban, se réfugier à Singapour pour éviter un typhon et le retour de Bahrein à Biscarrosse s'est fait d'une seule traite (5 200 km en 16 h 50). Le Laté 631 a fait ses preuves mais l'Etat lui préfère les avions quadrimoteurs SE-2010 délaissés, eux aussi, par Air France.   

Le Laté 631 F-FDRE attendant un chargement de coton.

Le siège du commandant de bord dans le F-BDRE.

Source des deux photos: La revue le Fana de l'Aviation n°397 de décembre 2002.

Appareil à tout faire du "transport" des forces aériennes américaines, le Douglas C-54 fut aussi employé après la guerre par l'Armée de l'Air et l'Aéronavale.

Source: Fiche technique Edito-Service .S.A. Genève aux éditions Atlas 1988 (Photo P. Bigel).

Le second prototype, premier de série, du SE-2010 "Armagnac (F-WACB) au point fixe sur la piste de Blagnac le 31 décembre 1950, avant son premier décollage, avec Nadot et Galy aux commandes. Refusé par Air France en 1951, l'avion servit de banc d'essai aux réacteurs SNECMA Atar en 1954. In termina sa carrière au CEV quatorze ans plus tard (photo Archive Bernard Bombeau).

Source: L'Encyclopédie de l'Aviation Mach 1, volume 8, aux éditions Atlas 1981.


Le F-FDRE peut donc être affecté à la mission pour laquelle France Hydro a été créée : le transport régulier, rapide et sans souillure, du coton cultivé dans la région de Léré jusqu'au port de Douala. La ligne a été explorée par Souville en 1952, le lac Lëré est aménagé début 1953. Les installations sont rudimentaires, seuls des amerrissages et décollages de jour sont possibles, la main d'oeuvre locale, nombreuse et très bon marché, doit suppléer le manque de matériel de manutention. La première période, au Cameroun, débute le 17 mars 1953. Départ le matin de Biscarrosse, 4 h 50 de vol, escale à Bizerte, une heure avant le coucher du soleil départ pour le lac Léré, traversée du désert en 10 h 30 de vol de nuit. Lors d'un autre voyage, le F-BDRE réussit un vol sans escale Biscarrosse-Léré en 14 h 15. Sur place, chaque mission de transport se déroule en deux jours. L'appareil mouillé à 50 m du bord, le coton amené sur la plage est embarqué sur des barges en fer, guidées par le cordage qui relie le Laté au rivage, 25 t de coton sont embarquées.

Dans la matinée, décollage de Léré pour être à Douala vers 11 h 00, après trois heures de vol. Dans le port, le transbordement de la cargaison se fait par chaland. Le fret de retour, hangars métalliques, matériel varié, est ensuite embarqué mais l'hydravion ne rentre  à Léré que le lendemain. Le séjour au Cameroun dure de 45 à 60 jours, permettant 110 à 130 heures de vol et le transport de 550 à 600 t de coton. Le personnel d(exploitation est restreint dix navigants et une douzaine d'employés au sol. A la fin de chaque séjour, l-hydravion retourne à Biscarrosse pour dix à douze jours. L'escale du retour se fait à Bizerte si le fret est destiné à Bordeaux et à Marignane si sa destination est Marseille.

La traversée du désert se fait aussi de nuit. En juillet 54, après un peu plus d'un an d'exploitation le bilan est positif : le F-BDRE a accompli plus de 1 000 heures de vol, transporté 3 300 t de fret sans le moindre incident technique. Les frais d'amortissement du matériel sont quasiment nuls. France Hydro envisage donc de développer ses activités en Afrique Equatoriale. L'aménagement des bases est amélioré, deux pilotes, Fournel et Bergeot, et deux mécaniciens, Farnet et Faillon, sont formés. Enfin l'Etat attribue à la compagnie les sept hydravions restants. Si le F-BDRA est réformé, le 21 décembre 1954, le F-BANT est transformé pour suppléer le vétéran F-BDRE qui pourra être retiré du service. Le 631-02 n'est prêt qu'en mai 1955. Ces projets font des vagues. Souville, le pilote Seguin démissionnent; ils s'opposent à l'utilisation des Latécoères en toute saison alors que le service état jusqu'à interrompu de juin à décembre à cause de la température. Le commandant Bonnot, vétéran de l'hydravion, est alors nommé directeur technique.

Vérifié en décembre 1954 par Véritas, le F-BDRE accomplit une nouvelle campagne. Le 1er septembre 1955, il fait son dernier vol Doula-Léré avant sa relève par le F-BANT. Il s'écrase au nord de Sambolabo, tuant son équipage : les pilotes Demouveaux et Bergot, le co-pilote Kerplan, les radios Maragneaux et Ballet, les mécanos Le Calvez, Faillon, Farnet. Cinq passagers trouvent aussi la mort. Un appareil d'UTA ne découvre les débris que plusieurs jours plus tard.

Cette dernière catastrophe, inexpliquée, met fin à la carrière du Laté 631. En février 1956, les 05, 10 et 11 sont détruits par la chute du hangar qui les abrite dans la base Bréguet abandonnée. En janvier 1957, une petite annonce paraît : "Société française de transport aérien cède deux hydravions Latécoères avec de nombreuses rechanges et matériel accessoire... Le 09 est ferraillé à la fin de l'hiver 1957. Le F-BANT survit dans la base des Hourtiquets jusqu'en 1963. Il est condamné lui aussi quand l'hydrobase se retrouve dans le périmètre du Centre d'Essais des Landes.     

Les campagnes du Latécoère Laté 631.

Source: La revue Histoire et Maquettisme n°5 d'octobre-novembre 1989.

Le Laté 631 F-BDRE aux couleurs de France Hydro sur l'étang de Biscarrosse (Musée de l'Hydravion de Biscarrosse).

Page mémoire sur l'accident du Laté F-BDRE (Photo Huguenot).

Source des deux photos: La revue le Fana de l'Aviation n°397 de décembre 2002.


Une page de l'aéronautique française est tournée. Seul hydravion réellement transatlantique utilisé, le Laté 631 est né trop tard. Son développement a été retardé par la guerre et en 1945 les multimoteurs terrestres assoient leur suprématie sur les routes océaniques. Le choix de matériaux économiques et légers pour des pièces vitales (moyeux d'hélice, attaches d'ailerons) a eu des conséquences fatales. Enfin, le problème de l'adaptation des hélices Ratier sur des propulseurs américains, choix imposé par les circonstances, a obnubilé le bureau d’étude : les défauts du Laté 631 n'ont pas été décelé à temps.

L'intervention des pouvoirs publics n'a pas arrangé les choses. Un série de catastrophes a ponctué l'histoire de cet hydravion dont le glas sonne en 1955. Depuis plusieurs années déjà la SILAT s'était reconvertie : fabrication de missiles, et de matériel d'essais, sous-traitance constituent désormais son activité.  



Jean - Marie



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