En 1956, Colomb-Béchar, était un centre d'essais secret.

 



"" L'histoire des engins-cible français ""

Maquette du CT-10 en scratch et au 1/72.

Maquette du CT-41 en scratch et au 1/72.




Historique : La revue Aviation Magazine n°187 de mai 1956, aux éditions OJD, diffusion publicité, article de Guy Michelet.

La revue Aviation Magazine, magazine de l'Espace n°312 de décembre 1960, aux éditions OJD, diffusion publicité, article de Jacques Gambu et Lucien Espinasse.




Les photos des maquettes sont de l'exposition de Lyon-Bron (France) en 2023. Photos de Loloskymaster et du MCT Maquette Club Thionvillois (57) France.



Paris 1956 : Voilà plusieurs années que, journalistes aéronautiques, nous avions demandé aux ministres qui se succédèrent au boulevard Victor, l'autorisation de visiter le centre de Colomb-Béchar, où se déroulent les essais des engins spéciaux français. D'après les techniciens généralement les mieux informés, la position de la France, dans ce domaine d'avant-garde, était privilégiée et les résultats acquis eussent justifié un raisonnable orgueil. Mais cela, c'était ce qui se chuchotait. Aucune information, hors la fusée expérimentale "Véronique" et des engins-cible, n'était diffusée, alors que, les Américains et Anglais, s'ils ne révélaient pas leurs engins les plus récents, donnaient tout de même des témoignages de leurs activités. Le public français pouvait être ainsi amené à penser que notre pays délaissait le problème des engins, l'un des plus vitaux pour l'avenir de toute grande nation. Il faut rendre hommage à M. Henri Laforest, secrétaire d'Etat à l'Air, d'avoir su trouver les arguments propres à convaincre la Défense nationale de laisser pénétrer les journalistes spécialisés dans le Saint des saints, du Sahara français.


Colomb-Béchar 1956 : Petite bourgade aux maisons basses, écrasée de soleil, dont la végétation principale est constituée par quelques palmiers aux allures d'asperges géantes, chef-lieu du Sahara français, est un nom qui chante dans toutes les mémoires.

C'était l'escale de la prodigieuse ligne automobile transsaharienne, c'est l'avant-dernière gare du chemin de fer Méditerranée-Niger, dont l'achèvement est repoussée de décade en décade.

Dans les maigres jardins, le linge sèche aux cordes tendues : dans certaines maisons, le réfrigérateur ronronne doucement. Au milieu du désert implacable, une petite ville, repliée derrière ses murs aux rares ouvertures, poursuit sa vie tranquille. La volonté française a marqué là son empreinte sur une nature aride et dure.

Deus heures de "Dakota" nous séparent d'Oran, de sa rade, de ses lumières, de son harmonieux équilibre architectural.

Colomb-Béchar, aujourd'hui, c'est, avant tout, le Centre Interarmées d'Essais d'Engins Spéciaux. Ce titre rébarbatif définit l'une des activités les plus passionnantes et les plus rentables du génie français.voiture et la visite commence.

Le premier exercice auquel nous sommes conviés est le tir d'un engin-cible CT-10

Notre "Dakota" roule longuement sur la piste immense, avant d'atteindre le parking. Il fait chaud, mais une brise légère rend l'atmosphère supportable. Devant les grands hangars métalliques, plusieurs avions qui servent aux essais spéciaux du centre et des avions de servitude. On trouve là un "Canberra" des "Meteor", des Nord-1100, des Marcel Dassault MD-311 et 315, des "Dakota" des Ju-52. On nous demande de ne rien photographier sur le parking.

Le ministre, qui est venu à bord du SO-30 "Bretagne" du gouvernement, est arrivé la veille. Il nous rejoint en voiture et la visite commence.

Le premier exercice auquel nous sommes conviés est le tir d'un engin-cible CT-10. Nos lecteurs connaissent bien cette production de la SNCAN, dérivée de la bombe volante allemande V-1, de funeste mémoire. L'engin meurtrier a été domestiqué et sert à l’entraînement.

Les améliorations apportées en France à cet engin sont telles que, on le sait, nous le vendons à l'étranger.

      

A Colomb-Béchar, les essais des engins air-air équipant les intercepteurs modernes imposent la présence d'engins-cible également modernes. Ici, un Nord CT-20 est prêt à être lancé (Photo Lucien Espinasse).

Source : Couverture de la revue Aviation Magazine, magazine de l'Espace n°312 de décembre 1960.

Un Ars 5501 n°33 (alias CT-10), prêt au lancement. La France n'a jamais mis ce véhicule en service en tant que SSM mais développa le "Caisseur", fondamentalement similaire.
Source : Les fusées et missiles d'aujourd'hui aux éditions Elsevier-Séquoia 1979.

Un LeO 451E transformé pour servir de plateforme  de lancement en vol du missile SFECMAC Arsenal 5501 (alias CT-10), utilisé comme engin-cible radioguidé pour les tirs d'exercices sol-air et air-air.
Source : Avions de la Deuxième Guerre mondiale HS-n°5 aux éditions Hachette 1 981.


"" Les engins-cible ""  

Nous arrivons à un emplacement de tir. Trois rampes de lancement sont là, dont une porte un CT-10, sur le pulso-réacteur duquel les mécaniciens ont malicieusement écrit à la craie "La presse". Nous sommes sensibles à cette marque de bienvenue.
Nous sommes mis en place pour prendre des photos du lancement à distance respectueuse, pour ne point recevoir de débris de cailloux, ni de ceux des fusées solides c'accélération. Le CT-10 en effet, s'il dispose d'un pulso-réacteur, pour son vol normal, est équipé de deux fusées solides d'accélération pour le départ, fixées sur ses flancs.
Les minutes s'égrènent. Le pulso est mis en marche et l'on entend son chant d'orgue. Quinze seconde s'écoulent encore et c'est le déchaînement des fusées. L'engin bondit littéralement, dans un nuage de poussière et de fumée. Nous ne le voyons que quand ce dernier se dissipe, comme un minuscule point brillant dans le ciel, qui va en s'amenuisant rapidement. L'envol a été si subit que nous avons tous été prit de court et avons manqué nos photos.
Nous nous dirigeons ensuite vers l'emplacement de tir "Mercure", situé à quelque distance de là. C'est un autre spectacle qui s'offre à nous. Nous nous trouvons en effet, en face d'un bâtiment en cours de construction, entouré de radars paraboliques et de cinéthéodolites. (1)
(1) : Un cinéthéodolite est un instrument d'optique comprenant un dispositif de pointage et une caméra sur un support orientable équipée de capteurs angulaires qui est utilisé pour déterminer la trajectoire des engins spéciaux (fusée ou satellite).   

B-26 de liaison du CEV et MD-315 de servitude sur un parking de Colomb-Béchar.
Source : La revue Aviation Magazine n°187 de mai 1956. 

Radars Cotal, qui sert à guider les avions chargés d'engins air-air.

Théodolite, monté sur un affût de canon de 40 mm, comporte un téléobjectif de 2 m. Ils sont efficace grâce à la limpidité de l'air.
Source des deux photos : La revue Aviation Magazine n°312 de décembre 1960.

Propulsé en vol par un pulsoréacteur (poussée 90 kg), cet avion-cible télécommandé est lancé sur une rampe par deux fusées à poudre. Après 35 minutes de vol, un parachute le ramène au sol où il se fiche par sa pointe.
Source : Science et Vie numéro hors-série aviation 1957.

Placé sur sa rampe de lancement, l'avion-cible CT-10 est prêt au départ.
Source : La revue Aviation Magazine n°241 de décembre 1957.


Une rampe est là, également, sur laquelle le CT-20, qui doit succéder au CT-10. Le CT-20, on s'en souvient a été exposé au dernier Salon du Bourget et il est caractérisé par sa voilure en flèche composée, ses empennages papillon et l'entrée d'air de son réacteur "Marboré" situé au-dessus et en retrait de la pointe avant.
Le CT-20 qui doit succéder au CT-10 n'est pas encore en service opérationnel et c'est pourquoi , nous ne verrons pas son lancement. L'équipe spécialisée dans cette opération est, en effet rentrée en France pour préparer une nouvelle campagne de tir.
L'emploi du CT-20 sera extrêmement profitable, car sa vitesse est très voisine de celle des intercepteurs en service et son plafond d'utilisation est de l'ordre de 13 à 14 000 mètres. Malheureusement, le prix de cet engin est assez élevé, de l'ordre de douze millions (nous sommes en 1956) et l'on préfère réaliser avec lui des tirs fictifs plutôt que de le descendre.
Avant que nous assistons à d'autres expériences, nous pouvons voir le CT-10 tiré tout à l'heure et que l'on vient de récupérer. Les parachutes ont fonctionné parfaitement et, seule, la pointe avant est détériorée. Après quelques réparations mineure, l'engin pourra servir à de nouveaux tirs. 

Un CT-10 de retour d'un tir par parachute, on le voit au sol où il est fiché par la pointe.
Source : Science et Vie numéro hors série spécial Aviation 1957.


Nous sommes ensuite conviés à suivre un tir d'engin air-air SFECMAS-5103. Un "Meteor" NF-12 a décollé de la piste de Béchar et évolue à une grande altitude. Il largue une cible, qui descend doucement, suspendue à un parachute et que nous devons fixer avec attention, petit point blanc dans le ciel implacablement bleu. 
Du sol, le "Meteor" est guidé vers la cible, qu'il ne peut distinguer dans l'immensité du ciel. Les radars le guident progressivement. Lorsque la cible est en vue, le pilote le signale et prend la direction des opérations. A portée convenable, un engin est tiré, qui traverse la cible et dont l'explosion laisse un léger nuage blanc, qui persiste dans l'azur du ciel.
Les engins air-air peuvent être tirés directement a vue, comme dans le cas des armes de bord classiques. Toutefois, ils peuvent être munis et cette pratique ne pourra aller qu'en se développant, d'un dispositif auto-directeur qui les fera nécessairement percuter l'objectif aérien.
La démonstration, en tir à vue, est amplement édifiante. Mais, dès aujourd'hui, un avion peut décoller dans la nuit ou le mauvais temps, s'approcher, guidé au sol, du bombardier assaillant. Là, le radar de défection, monté à son bord, le dirige vers l'objectif. Le tir est effectué à bonne portée, cependant que le dispositif auto-directeur assure le coup au but.
L'engin air-air, on le voit, est une arme infiniment plus meurtrière que les armes de bord. 

Engin air-air SFECMAS 5103.

Source : Le revue Aviation Magazine n°171 de février 1956.

Les engins cible CT-20 sont prêts à être lancés. Dans quelques instants, ils croiseront, invisibles à l’œil nu. Mais ils seront constamment suivis par les radars Cotal.

Le champ de tir B-1 où l'on prépare les engins-cible CT-20 offerts aux coups futurs des intercepteurs. Noter sur cette photo, le sergent qui s'occupe du CT-20 et qui est en espadrille.

Source des trois photos : La revue Aviation Magazine n°312 de décembre 1960. 

Un CT-20 quelque part en France.      Collection personnelle de M. Alain Bertini.


"" L'engin à tirer dans les coins ""

Si l'on connaissant jusqu'à là, trois catégories d'engins spéciaux, les engins sol-sol (antichars, principalement), les engins air-air et les sol-air (prolongeant l'action de la DCA et celle de l'aviation d'interception), le génie particulier des Français en a fait naître une nouvelle, celle des engins air-sol. Et, même nous avons été plus loin, puisque nous avons inventé le fusil dans les coins, le vieux rêve des fantassins et des chasseurs de gibier.

Dans les opérations d'Indochine et d'Algérie, il est particulièrement difficile et dangereux d'attaquer des rebelles se cachant, ou cachant leur ravitaillement en armement ou en carburant dans des grottes au creux des montagnes. On était jusque là obligé d'effectuer une attaque frontale à la bombe, ou au canon ou à la roquette en dégageant sec, à la dernière seconde. L'effet de surprise était nul et le danger évident.

En partant de l'engin sol-sol SS-11, connu pour sa simplicité, les techniciens de la SFECMAS puissament aidés par ceux de Colomb-Béchar, ont mis au point un nouvel engin air-sol, le SFECMAS-5210, qu'il est possible de tirer à un angle de 40 degrés de l'axe de l'avion.

L'engin, en raison de sa faible vitesse relative, est tiré d'un avion relativement lent, comme le MD-311 "Flament". Un servant, se trouvant dans le nez vitré de l'appareil, commande la mise à feu. L'engin quitte aussitôt le support caréné qui le maintient au-dessus de la voilure, déroulant le fil de télécommande de 3 000 mètres environ, qui le relie à l'avion.

A l'intérieur de l'avion, le servant dispose d'un petit manche à balai, analogue à celui employé pour le SS-10 , qui lui permet véritablement de piloter l'engin en avant de l'avion jusqu'à un angle, comme mous l'avons dit, de 40 degrés.

L'effet de surprise est donc très grand pour les attaqués, puisque en voyant l'avion poursuivre sa route un axe différent de celui de leur position, les assiégés ne peuvent deviner l'attaque.

Le SFECMAS 5210 en est au stade des essais opérationnels. Plus de 3 000 tirs ont été effectués dans l'Aurès avec une précision extraordinaire, de l'ordre du mètre carré. Des rebelles ont été atteints dans des grottes où ils se croyaient à l'abri. Les Français ont inventé une arme diabolique.

La démonstration qui nous est faite ne nous convainc pas entièrement au début, le servant étant un remplaçant. Mais, à son troisième tir, il atteint en plein un panneau noir, à droite de son axe de tir. Nous venons de voir naître une arme nouvelle, à la terrible efficacité.

Après une projection de films en couleurs sur les engins mis au point au Centre, un agréable rafraîchissement chez le directeur et un excellent méchoui au mess des officiers, aux heures les plus éprouvantes de la journée, nous remontons dans notre "Dakota" pour gagner de tir de Hammaguir à 160 kilomètres de Colomb-Béchar, en direction de la frontière marocaine.

Le SS-11, à guidage par fils, dont la version AS-11 est tirée d'avions légers ou d'hélicoptères. On voit nettement sur cette photo que le missile par sur la droite, donc un angle de 40 degrés.

Source : Fusées et Astronautique aux éditions Larousse 1964.

Le missile SS-11, sa précision, sa puissance destructive, sa robustesse, sa facilité d'emloi une fois reconnues, il est apparu que ce missile pouvait remplir beaucoup d'emplois différents.

Source : Collection personnelle.


"" Hammaguir, centre de l'avenir ""

A une bonne centaine de kilomètres de Colomb-Béchar, vers le sud-ouest, la base d'Hammaguir a trouvé son nom dans la contraction du vrai nom de la région : la Hammada du Guir. On y trouve des installations annexes de la base de Colomb-Béchar, des sources d'énergie qui la rendent indépendante et une piste d'atterrissage de trois kilomètres de longueur, qui fut construite tout récemment par le Génie de l'Air. Dans cette région africaine où la température atteint, en été, les cinquante degrés, et qui est située à 750 m d'altitude (Colomb-Béchar voit sa piste à 811 mètres au-dessus du niveau de la mer), de telles longueurs sont nécessaires si l'on veut y voir se poser et, surtout, en repartir les avions qui, ordinairement, se contentent de beaucoup moins sous des climats continentaux. 

Hammaguir, c'est la base de l'avenir. C'est de là que partent les grands axes de tir sud-est offerts aux missiles tactiques et stratégiques de demain. C'est à Hammaguir que les campagnes de tir des fusées "Véronique", les scientifiques trouvent ainsi asiles chez les militaires du CIEES, ont été et seront organisées et effectuées. c'est à hammaguir que les futurs engins balistiques français trouveront les sites et tours de lancement nécessaires à leur mise au point. Déjà,  tout le long du parcours balistique prévu, des installations d'observation se montent petit à petit , d'Hammaguir vers le Tchad. Pour les engins balistiques dont l'altitude d'évolution est de l'ordre du millier de kilomètres, les cinéthéodolites deviennent inopérants et des implantations d'ensemble de trajectographie radio-électrique, fizeaugraphes et autres, sont en cours.   

La fusée "Véronique" de sondage jusque vers 250 km d'altitude dressée sur sa table de lancement.

Source : Fusées et Astronautique aux éditions Larousse 1964.


Si l'on se cantonne dans le domaine technique, l'avenir des installations de Colomb-Béchar et d'Hammaguir est assuré. Il doit même conduire à un développement du CIEES qui groupe actuellement près de 3 000 personnes. En effet, trois facteurs essentiels se présentent avec une urgence diverse. En premier lieu, l'apparition du monoplace Mirage III capable de voler à Mach 2 impose, pour ses essais opérationnels, l'emploi d'engins-cible également capables de performances analogues. La mise au point de la cible CT-41 de Nord Aviation et sa mise en oeuvre parallèlement à celle de l'avion tireur prendront du temps et, surtout, imposeront des moyens de mesure nouveaux.

Un peu plus tard, les essais de l'engin sol-air "Hawk", dont la construction européenne sous licence doit être entreprise sous l'égide de la SETEL (Société Européenne de Téléguidage), animée par la Thomson-Houston, occuperont les techniciens du CIEES.

Enfin, l'étude et la réalisation de l'engin à longue portée française confiées à la SEREB doivent trouver, sous peu, un commencement de conclusion à Hammaguir.

Et, bien entendu les scientifiques, qui travaillent encore sur leur étude de la "Super Véronique", devront bien entreprendre, toujours à Hammaguir, une nouvelle campagne de tirs.

Et, si tout va bien, c'est d'Hammaguir que sera tirée peut être un jour la fusée transportant le premier satellite français.

Nous en sommes pas encore là, mais sachons que le complexe technique de Colomb-Béchar recèle de fameuses promesses.   

L'engin-cible à statoréacteurs CT-41, qu'un berceau largable propulsé par fusée lance à Mach 1,6.

Source : Fusées et Astronautique aux éditions Larousse 1964.

Une photo rarissime : un engin-cible Nord Aviation CT-41, au départ, lors d'un récent essai à Colomb-Béchar.

Il est H - 15 minutes : "Véronique" sur l'aire de lancement de Colomb-Béchar.
Source des deux photos : La revue Aviation Magazine n°296 d'avril 1960.

Le grand portique d'Hammaguir a servi et servira à préparer le lancement des fusées "Véronique" et "Super Véronique". Il a servi aux essais du Matra 422
Source des trois photos : La revue Aviation Magazine n°312 de décembre 1960.

Le Matra R-422.      Diapositive de ma collection personnelle.



"" Le CT-10 et CT-41, maquettes en scratch ""






Jean - Marie


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